Merci à
Roschdy Zem, à
Yolande Moreau et au film le Principal de
Chad Chenouga à qui je dois cette lecture. le personnage joué par
Yolande Moreau, principal de collège partant à la retraite, conseille et approvisionne en livres son adjoint,
Roschdy Zem, dont un de l'écrivain japonais Kenzaburô Ôé. Est ainsi posée dans le film la question de la transmission de valeurs entre les adultes, les jeunes et aussi les spectateurs.
J'ai choisi ce livre de Kenzaburô Ôé pour le résumé en quatrième de couverture, pas pour le titre tout à fait effrayant, énigmatique, incitation bizarre que ce : «
Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants ». Quelques recherches m'ont permis de relativiser l'emploi de l'impératif.
Les mots provocateurs sont ceux de la fiction, d'un imaginaire très riche s'attaquant à un tabou : la violence envers des enfants. Quand un auteur japonais s'empare d'un tel sujet, sûr que cela ne va pas être un roman « feel-good »… Âmes sensibles bienvenues mais il faudra en passer par un réalisme de la violence d'une force inhabituelle, un cri à la
Edvard Munch, d'un artiste hanté par la souffrance, la maladie, la mort, potentialisé par l'expression directe des enfants.
Deux mots sur l'auteur avant de présenter cette fable sociale tout à fait singulière. Elle a été écrite en 1958 mais m'a paru mettre en avant des thèmes réactualisés par les guerres actuelles, Ukraine, Moyen-Orient notamment, où les enfants sont des cibles. Kenzaburô Ôé, lauréat du prix Nobel de littérature 1994, est certainement un des plus grands auteurs du XXème siècle. Né en 1935, il a connu le nationalisme nippon, le culte de l'empereur, la guerre suivie des destructions, de la misère, de l'impensable bombardement nucléaire d'Hiroshima puis de Nagasaki et plus récemment de la catastrophe de Fukushima. Sa vie a été consacrée à défendre la paix, la dignité, la démocratie... et la littérature. Il est décédé le 3 mars 2023 dans une certaine indifférence, ce qui pose question au vu de son oeuvre et de ses engagements sociaux. Est-il trop en marge, trop dérangeant par rapport aux codes actuels où la réalité doit être montrée avec l'apparence du vrai en gommant les effets expressionnistes pourtant utiles pour provoquer l'émotion, la réflexion et l'action, trois éléments qui caractérisent la vie de Kenzaburô Ôé.
Retour au sujet du livre. Pendant la seconde guerre mondiale, les enfants d'une maison de correction sont emmenés dans un village de montagne. Leur éducateur, qui doit aller chercher un autre groupe, les confie aux paysans apeurés, abêtis par la pauvreté,
l'ignorance… Après plusieurs décès dus à un début d'épidémie de peste, la population décide de quitter le village livrant les enfants à eux-mêmes, dans l'attente de l'éducateur qui tarde à revenir. Ceux-ci vont s'organiser pour survivre, formant une société où peut aussi s'exprimer des douceurs inconnues : la fraternité et même un bourgeon d'amour.
Ce n'est pas
La peste d'
Albert Camus, - un auteur qu'il appréciait, ainsi que
Jean-Paul Sartre,
Thomas Mann,
Milan Kundera..., plutôt Robinson Crusoé… le village devient une sorte d'île déserte où tout est à refonder. Ces enfants au passé de délinquants, seuls, dans des conditions extrêmes, doivent faire l'expérience de la liberté, trouver à manger, apprendre à se connaître, à se soutenir. Une vrai histoire d'amour se noue entre le jeune narrateur et une petite fille, moment de grâce magnifiant ce récit à
l'imagination intense.
Derrière la pudeur cachée sous
les mots crus de Kenzaburô Ôé, il faut lire la force du message, l'injonction à respecter et protéger les enfants, à honorer la nature aussi et la vie naissante sous toutes ses formes. Vénérer l'espoir toujours présent en l'homme en dépit de la barbarie, ou du désintérêt, ce qui est proche, dont il fait souvent preuve. Continuer de lire celui qui manie
les mots avec tant de maestria et d'élégance, contant
L Histoire, le temps, la vie du monde.
Il y aurait bien plus à dire… Pour ceux que cela intéresse je mets sur Clesbibliofeel, lien ci-dessous, les entretiens très instructifs d'une émission Hors Champs de
Laure Adler, diffusée sur France culture en 2022. S'il fallait une preuve de la valeur humaine de cet auteur il faudrait parler de son dévouement envers son fils, Hikari, atteint d'un handicap mental. Kenzaburô Ôé a été le porte parole de ce garçon mutique passionné par la musique, vivant à travers elle et voie exclusive de communication avec sa famille. Hikari Oé a réussi à s'épanouir dans une carrière de compositeur, sa musique a été enregistrée. Musicien reconnu au Japon, il représente un exemple réussi de traitement du handicap mental par l'art. Son adagio pour flûte et piano est également à écouter sur mon blog. Moment de paix et d'espoir !
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