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Critique de HordeDuContrevent


A la lecture de ce beau livre « Les tendres plaintes », je ressens profondément ce qu'offre la culture Shinto afin d'évoquer l'immuable. Ce qui est important c'est le ressenti, la sensation, une notion indéfinissable du tout, du prégnant. Oui, "La vie est courte et le désir sans fin". Délicatesse, onirisme, entrelacement secret entre douleur et douceur, sensualité, dualité entre simplicité apparente et complexité en profondeur, voilà quelques ingrédients de ce livre apaisant.

Ruriko, jeune femme tokyoïte, trompée, battue, blessée par son mari, quitte du jour au lendemain le foyer conjugal pour s'isoler dans la maison familiale, un chalet en pleine forêt. Pour mieux se concentrer aussi, Ruriko étant calligraphe et travaillant sur la biographie étonnante d'une nonagénaire. Là-bas, les sons, notamment cette latte de bois sur la terrasse qui geint ou encore le bruissement du vent, les vibrations de l'air, de l'eau et des instruments de musique, la lumière, les paysages sylvestres et montagnards, sertissent les souvenirs de jeunesse et des anciens liens familiaux.

Mais finalement cette fuite va surtout lui permettre de rencontrer Nitta et son assistante Kaoru. Nitta habite près du chalet, et tous deux se consacrent à l'art méticuleux de la fabrication des clavecins. Peu à peu vont naitre entre les trois personnages une forme de complicité, les trois, à leur manière, portent une histoire douloureuse. Trois coeurs discrètement cabossés pour lesquels le retrait, le refuge, le retour aux choses simples, les mélodies sont nécessaires. S'unir pour de tendres plaintes. Enfin en façade. Car ces plaintes sont en réalité plus violentes, envahissantes, que ne le laissent présager la politesse convenue toute japonaise ainsi que l'écriture épurée. C'est sans doute le charme de ce livre, et souvent de la littérature japonaise : nous faire deviner, en vibrations discrètes, la violence que crie l'inconscient sous l'apparat de sérénité, de calme et d'osmose. J'ai également retrouvé dans ce livre, comme dans beaucoup de livres de Haruki Murakami, l'art de dompter l'inconscient en réalisant son art (la calligraphie pour Ruriko, la fabrication de clavecins pour Nitta et Kaoru), ces gestes appris et structurants, orchestrés avec minutie et perfection, avec concentration. J'ai chaque fois l'impression moi-même de me redresser et de m'aligner à l'évocation subtile de ces gestes. Comme ceux du quotidien (cuisiner, laver, ranger), ils permettent de nous ancrer dans l'instant présent.

Le regard de Ruriko sur ces deux amis est sensuel, aussi bien sur Nitta, dont elle s'éprend, que sur son assistante : « La peau de Kaoru serait douce comme un pétale qui vient de s'ouvrir. Selon l'orientation de son visage, la couleur de ses iris changerait subtilement, chaque cheveu de sa coiffure recevrait la lumière, et nous parlerions toutes les deux en remuant les yeux. Nitta, ses longues jambes repliées, nous montrerait son dos. Il me suffirait de tendre un peu la main pour le toucher mais en réalité je n'aurais pas le courage de le faire. A la place, j'évoquerais mes bras qui avaient touché les os de son dos, le poids de son torse qui m'étouffait et la douceur obsédante de nos jambes mêlées. »
Le souvenir de ce moment d'amour ne cesse d'être présent, souvenir d'une sensualité à la fois élégante et torride, mais sans l'once de la moindre vulgarité : « Je me sentais prisonnière du désir de plonger entre ses bras moites de transpiration. Chaque fois, il me fallait le réprimer, les bras serrés fermement sur ma poitrine. Malgré cela, je me sentais sur le point d'être transpercée par le souvenir de ses lèvres et de ses doigts vagabondant sur tous mes interstices, mes cavités, mes protubérances et mes courbes ». Une sensualité qui se fera subtilement plus sauvage ensuite.


Ce livre parle de l'affranchissement aux contraintes, de notre liberté, du retour à notre moi intime. de notre droit à nous retrouver et à prendre le temps. de notre capacité à réaliser nos désirs et à écouter son corps, son coeur, son inconscient. Loin de la frénésie, des convenances. le tout serti d'une écriture poétique et ensorcelante. D'un style simple et épuré. Car la vie est courte et le désir sans fin.
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