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Critique de HundredDreams


Yoko Ogawa est une auteure que j'aime. Elle a le don de surprendre, de provoquer, de mettre mal à l'aise, d'émouvoir, de toucher, de susciter des émotions fortes par des sujets souvent sombres, mélancoliques et dérangeants.
« Petites boîtes » est habité par ses thèmes de prédilection, à savoir la mémoire et l'oubli, la perte et la recherche de sens, le deuil et la solitude.

Après la lecture de plusieurs chroniques sur ce roman, je savais que ce récit était malaisant, mais les oeuvres de Yoko Ogawa ont une beauté qui me fascinent : elles sont souvent émouvantes et poétiques, douces et profondes. Elles s'attachent à explorer avec subtilité et minutie la complexité des émotions humaines.

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Dans ce court récit, Yoko Ogawa nous emmène dans un monde en miniature, un monde d'enfants sans enfants.
La narratrice vit dans une ancienne école maternelle, vide de joie, vide de bousculades et de cris, vide de petits élèves chahuteurs et espiègles, vide de vie. Elle habite seule dans ces lieux silencieux et déserts qui sont restés à l'identique depuis le départ des enfants et de leurs enseignants.
Tout y est resté à hauteur d'enfants, aménagé pour ceux qui la fréquentaient autrefois. La narratrice n'a touché à rien et s'est fondue petit à petit dans ce décor miniature, rapetissant pour s'adapter à l'endroit où elle vit désormais.

Cette femme douce, généreuse, bienveillante et attentive a aménagé dans l'auditorium, un lieu de mémoire et de recueillement dont elle prend le plus grand soin. A l'intérieur, se trouvent d'étranges petites boîtes en verre.

« Ce qu'elles contiennent n'est en aucun cas des souvenirs. Les enfants morts continuent à grandir dans le petit jardin à l'intérieur de la boîte. Ils mettent leurs chaussures pour faire leurs premiers pas, ils apprennent les tables de multiplication, et colorient à leur guise les robes des princesses. »

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Ce que j'apprécie dans les livres de cette autrice, c'est sa façon d'aborder des sujets difficiles avec une grande délicatesse et une subtilité émotionnelle rare, tout en créant une atmosphère de tension émotionnelle à la fois belle et dérangeante.
Du coup, j'ai eu du mal à me situer par rapport aux sentiments, aux émotions des personnages du récit et au style de l'autrice.

Je m'explique.
Les écoles maternelles sont des endroits chaleureux et gais, mais ici, règne une ambiance sinistre et oppressante dont seul, le lecteur est véritablement conscient. En effet, c'est comme si les enfants s'étaient évaporés, volatilisés, ne laissant à leur place que des petites boites, comme autant de cercueils dans un mausolée.
Par contre, pour les habitants de cette ville, l'auditorium est un endroit privilégié et apaisant où se recueillir, déposer de nouveaux objets pour les petits défunts qui continuent à grandir dans leur esprit. Ses boîtes sont emplies d'amour. Chaque objet est choisi avec minutie, placé à sa juste place dans la boite.

« … les boîtes sont les corps des morts, et leur contenu, la parole qu'ils ont perdue. »

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Le monde de Yoko Ogawa est à la frontière de plusieurs mondes, du visible et de l'invisible, de la vie et de la mort, du silence et de la voix des enfants morts qui résonnent dans les instruments insolites que les parents confectionnent.

« Peut-être se trouve-t-il des gens pour avoir l'illusion qu'un instrument de musique de cette forme a toujours existé caché dans son corps, ou qu'il a résonné durant la vie de l'enfant avant d'en être extrait. »

Ces boîtes sont pour moi une métaphore décrivant la façon dont les personnages de ce roman sont prisonniers, enfermés dans leur propre monde intérieur.
Ainsi, elles peuvent prendre différentes formes, des boites vitrines, mais aussi des lettres, des instruments de musique dont les sons ne s'adressent qu'à la personne qui en joue.
Cela renforce l'idée que chacun a sa propre histoire avec ses épreuves, sa propre capacité à les affronter et à trouver un sens à sa propre existence.

“Après cette séparation, je ne pouvais plus vivre.”

Mais il y a aussi une sorte de communion et de solidarité très forte dans ce récit, lorsque, par exemple, en automne, les habitants s'entraident pour un concert de soi en soi, lors d'une nuit où le monde des vivants entrent en résonance avec celui des morts.

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L'écriture de Yoko Ogawa est remarquablement belle, délicate, légère et poétique, avec une attention particulière portée aux détails et aux descriptions. C'est comme un murmure que l'on perçoit dans le bruissement du vent. On se sent aspirer dans cet univers sombre, déprimant et macabre, mais écrit avec tant de douceur et d'amour.
Dans les espaces laissés entre chaque phrase, j'ai entendu les silences, les émotions refoulées, la solitude, le vide laissé par ses petits êtres, cet amour immense reporté sur ces petites boites si fragiles.

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Malgré la tendresse de la plume et l'empathie que l'on peut ressentir pour ces parents endeuillés et malheureux, les personnages me sont apparus étranges, obscurs, fous de douleur.
On rencontre un ancien conservateur de musée qui ne parle qu'en chantant, une femme qui écrit des lettres dont les caractères noirs deviennent de plus en plus petits et évanescents jusqu'à disparaître dans l'obscurité et le vide du néant.

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Pour conclure, bien que le récit m'ait mis à mal l'aise et ait provoqué à en moi un sentiment de tristesse, Yoko Ogawa est une autrice talentueuse qui nous fait entrer dans un monde entre poésie et cauchemar.
Il faut être prêt au ton sombre et onirique, à cet univers troublant et dérangeant pour pouvoir apprécier à sa juste valeur, ce roman d'une grande beauté lyrique et d'une grande finesse, mais aussi d'une grisaille déprimante.
Je ne conseillerais donc ce roman contemplatif qu'à ceux qui connaissent déjà l'univers de cette autrice et l'apprécient.
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