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Critique de Krissie78


1992. Un village d'Estonie. La vieille Aliide découvre devant sa maison une jeune femme inanimée. L'Estonie sort tout juste de 47 ans d'occupation russe, qui a succédé à l'occupation allemande, elle-même ayant suivi une première occupation russe. Aliide a appris à se méfier de tout et de tous. Qui est cette jeune femme ? Qui l'a mise dans cet état ? Que fuit-elle ? Pourquoi est-elle arrivée dans ce village perdu ? Mais Aliide va finir par être touchée par Zara, l'accueillir, la nourrir, la soigner, la protéger, sans vraiment savoir pourquoi. Toutes deux abîmées par la vie, par les hommes, elles vont découvrir qu'elles ont plus à partager qu'elles ne le croient.

« Purge » est le second romain de l'auteure finlandaise Sofi Oksanen. Cette dernière dit que ce qui l'attire avant tout « ce sont les destins bâillonnés, les personnages muets, les histoires tues. S'approcher du non-dit et tenter de l'articuler, n'est-ce pas l'essence même de l'écriture ? ».

Si le mot finlandais qui signifie « Purge » n'a pas tout à fait la même connotation qu'en français, il a quand même en lui la notion de nettoyage. Et c'est ce qui guide Aliide et Zara : nettoyer leur corps et leur vie de ce que les hommes en ont fait, nettoyer l'histoire d'une famille, nettoyer l'histoire d'un pays.

Pour Aliide c'est une vie de frustration, de survie dans un univers hostile, avec pour point de départ la jalousie d'une soeur envers sa cadette plus jolie, plus douée en tout. Une vie sous le signe de la recherche de la protection. Une vie emplie de mensonges, de défiance, d'amour et de haine, de trahison, d'exil et de déportation, de vengeance, de désespoir, de violence en tous genres. C'est aussi la sortie de la contrainte lorsque disparait le joug de l'envahisseur.

Cette violence d'une société, l'auteure la traite au travers du destin de deux femmes à deux époques. Si Aliide l'a subie pendant ces décennies d'occupation, Zara l'a vécue au début des années 1990. Trompée par une amie elle quitte Vladivostok pour Berlin où son rêve d'études se transforme en cauchemar lorsqu'elle tombe sous le joug d'un souteneur russe et tombe dans la prostitution. Jusqu'à ce que l'opportunité d'un voyage à Tallinn lui offre l'espoir de fuir un destin funeste et de revenir sur la terre de sa grand-mère. Pour Zara comme pour Aliide la société a fait de leur corps de femme un objet de honte dont elle semble incapable de se libérer.

Avec l'histoire d'Aliide et de Zara, Sofi Oksanen nous raconte l'histoire de l'Estonie de 1944 à 1992. Les années de guerre mais surtout les années d'occupation de l'un des trois pays baltes par l'armée russe, puis la renaissance d'une identité avec toutes les cicatrices laissées par le passé. Un récit où les 5 sens sont exacerbés, notamment l'odorat.

Le style qui peut sembler lent, distillant par petites touches sa trame narrative, naviguant dans le temps, alternant les flashbacks entre l'Estonie libérée et l'Estonie bâillonnée, entre le temps de la contrainte pour Aliide comme pour Zara et celui de la libération. Un récit historique qui nous fait découvrir une histoire rarement évoquée. Mais aussi une histoire de femmes qui vivent dans la peur constante des hommes et dans la honte de ce qu'ils ont fait d'elle. Et enfin une histoire de famille avec ses secrets et ses non-dits, ses silences et sa part de culpabilité.

On ressort de ce récit comme du film « La vie des autres » : on est captivé par ce récit qui perturbe. Et comme pour le film on se dit qu'on n'est pas prêts de l'oublier tant il trouble et dérange.
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