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Critique de Ellane92


La vieille Aliide Truu prépare ses conserves au fin fond de la campagne estonienne. Quand vient la nuit, elle se barricade, tandis que les gamins et les voyous du village lancent des cailloux sur sa fenêtre en la traitant de « sale Russe ». Un matin, elle découvre une jeune femme couverte de crasse et d'ecchymoses dans son jardin. Aliide recueille ainsi une certaine Zara chez elle, qui dit avoir fui son mari après une violente dispute. Presque malgré elle, Aliide lave, nourrit et cache la jeune femme.
Commence alors pour nous la découverte de ces deux femmes que tout sépare et pourtant que beaucoup rapproche. On découvre ainsi la vie d'Aliide au temps de l'occupation soviétique communiste (après un bref temps d'occupation nazie), et le destin de Zara, qui a fui sa vie paisible de Vladivostok, entre une mère silencieuse et une grand-mère secrète, pour le miroir aux alouettes de l'argent vite gagné en Allemagne, tombant sans défense et sans s'y être préparée dans l'univers de la prostitution et de la misère.

De la façon dont je l'ai perçu, il s'agit avant tout d'histoires d'amour, inachevées, interrompues, trompeuses ou jamais consommées, avec en fond de toile la difficulté d'être une femme dans un monde en guerre, occupé, où les hommes usent et abusent les uns des autres, y compris et surtout des femmes. C'est l'histoire d'une femme qui aime à la déraison un homme qui en aime une autre et qui vit constamment dans la peur. Peur de ne pas être une femme estonienne comme il faut, peur de ne pas être aimée, peur d'être torturée, affamée... Peur également d'être face à son passé, à ses actions, à son histoire… Elle agit alors en réaction, tentant de vivre et de survivre dans cette Estonie qui ne sait plus vraiment qui elle est, ce qui est juste, ce qui est possible...
Difficile dans ce cadre de s'attacher au personnage d'Aliide, et pourtant, vieille et insignifiante, mais aussi froide et dure que le fer, je n'ai jamais éprouvé de haine ou de dégout à son égard. Elle est trop malheureuse, trop silencieuse pour ça, et puis, elle assume toujours et en tout temps ses actions ; son personnage m'inspire un certain respect. Tout au long de l'histoire, jeune et amoureuse ou vieille et seule mais semblant prête à affronter n'importe qui et n'importe quoi, elle vit avec ses peurs cachées en elle. Il y a beaucoup de pudeur lié à ce personnage, d'autant plus que son histoire est racontée tout en suggestions. L'auteure a en revanche fait le choix de raconter l'histoire de Zara avec des mots durs, réalistes, qu'il s'agisse de sa descente aux enfers, de sa fuite, ou de son espoir… J'ai trouvé ce décalage parfois difficile à supporter, l'histoire d'Aliide n'ayant rien à envier en terme de souffrance, humiliation ou violence à celle de Zara.
Dans les deux cas, ces femmes ont fait ce qui leur paraissaient le plus approprié à leur situation, dans les deux cas, elles ont fait de mauvais choix et sont tombées plus bas qu'elles n'étaient.

J'ai eu un peu de mal à entrer dans ce roman, qui malgré tout se laisse lire avec intérêt. La construction du livre, avec ses allers-retours incessants entre les histoires, les personnages et les époques, finit par devenir un peu lassante… Mais ce que je regrette vraiment, c'est qu'il n'y ait pas eu de réelle rencontre entre les deux personnages principaux : elles ne créent pas de liens, de passerelles entre elles, entre leurs histoires cruelles, sordides et misérabilistes vécues à 40 ans d'écart. Il n'y a pas de pardon, pas de rédemption chez Sofi Oksanen. Les responsabilités et culpabilités ne sont pas partagées, tout est blanc ou noir. C'est dommage.
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