— Tu ne sais pas ce qu'elle renferme. Tu ne mesures pas l'impact qu'à son passé sur son quotidien et son avenir. Si tu en avais conscience, tu ne saurais pas l'aimer malgré ses cicatrices, comme j'ai su le faire.
Cette fois, Angel fit un pas en avant, décrétant apparemment qu'il venait de dépasser les bornes. Il fut néanmoins stoppé dans sa réaction par Mathias qui, plus sereinement que je ne l'en aurais cru capable, répondit sans une once d'hésitation :
— Détrompe-toi, j'ai très bien compris à quel point elle avait souffert, ce qu'elle a enduré et à quel point ça la suivra tout le reste de sa vie.
Il m'étonna. Mon passé restait un sujet sensible que j'abordai au compte-gouttes. Il avait connaissance de mes problèmes sociaux, de certaines de mes peurs et il avait déjà vu les traces de coupures ancrées dans la peau de mes bras, mais hormis cela, j'avais tout fait pour éviter qu'il ne mesure l'ampleur des dégâts en moi.
Il continua :
— Mais la raison pour laquelle c'est moi qui suis avec elle, aujourd'hui, et non plus toi, c'est exactement ce que tu viens de dire : toi, tu as su l'aimer malgré ses cicatrices. Moi, je l'aime avec ses cicatrices.
"La plupart des adolescents s'imaginent qu'à leur majorité, ils seront prêts à quitter leurs parents et à aller s'installer, seuls, dans un appartement, ou simplement dans un studio étudiant [...] Mais la vie, la vraie, ce n'est jamais aussi simple. Le jour où j'eus enfin atteint l'âge de la prétendue liberté, la première chose à laquelle j'ai songé en me réveillant le matin, cela a été : « Et maintenant, quoi ? »"
Plus d'une semaine s'était déroulée depuis la rentré et les choses avaient pourtant commencé à s'organiser de façon logique. Je n'avais quasiment pas adressé la parole à Gabriel le gringalet, si on omettait des "bonjour" quand on se croisait le matin. Les gens s'étaient mis à créer des affinités et il était de moins e moins question de discuter avec des personnes au hasard. Des duos, des trios ou des groupes plus grands se formaient et il était dorénavant aisé de délimiter les fréquentations de chacun. Même celle de BCBG, qui paraissait pourtant vouloir se lier au plus d'élèves possibles : il était évident que son intérêt se portait vers Calliopée, Gabriel et toute leur petite bande fraîchement cueillie au détour des pauses clopes et des amphithéätres
Je passai ensuite trois mois à lui écrire une à plusieurs lettres par jour, puisque c'était mon seul moyen de lui parler - je n'avais pas accès à internet. Parfois, je les envoyais et parfois, non. Je ne reçus jamais de réponse, hormis une fois, un message Facebook me confirmant qu'il les lisait et conservait chacune d'entre elles. Et un jour, j'envoyai enfin toutes celles qu'il restait, accompagnées d'une supplémentaire, qui lui annonçait que ce serait les dernières. Après plus de trois cent missives, j'allais enfin mieux.
Seulement, la légende dit que concernant l'abandonnisme, le premier pas vers une forme de guérison, ou en tout cas, d'atténuation des symptômes, c'est l'acceptation de la maladie. Pourquoi ? Parce qu'alors, on peut se rendre compte de l’irrationalité de nos réactions et potentiellement tenter de les réparer.