Aucun d'eux n'évoque avec moi un quelconque malaise, aucun d'eux ne rechigne à l'entraînement, mais je pressens les premiers signes de frustration et d' inquiétude autour de l'arrivée tapageuse de Karabatic. Sans qu'il nécessite d'être extralucide, mon rôle de manager consiste aussi à percer cette chape de silence circonspect que le sport de haut niveau impose à ses acteurs. Les joueurs ont l'habitude de se taire, à moi d'interpréter les sentiments profonds dissimulés derrière leurs façades de muets.
Certes, dans la société actuelle, la construction des trajectoires et des parcours apparaît de plus en plus individualisée. Mais elle l'est encore davantage pour des handballeurs placés en situation de concurrence permanente au cours de leur construction adolescente et post-adolescente. Des joueurs habitués à se mesurer et à se confronter avec leurs pairs pour intégrer le niveau professionnel, puis la sélection nationale. Or, sur ce sujet, il m'arrive souvent d'être abordé par des chefs d'entreprise, des managers soucieux d'insuffler une dynamique positive dans une collectivité où chacun tire à hue et à dia. "Et vous, Claude,, quel est votre secret pour préserver l'harmonie entre tous ces champions de caractère, dans un groupe où la compétition fait rage, sans jamais que les jalousies n'altèrent le rendement de l'équipe ? .....J'insiste sur l'importance de valoriser ces joueurs remplaçants dont la tâche délicate consiste à accompagner et favoriser le rendement de leur numéro 1. De concurrents potentiels, ils doivent se muer en collaborateurs, en associés, en auxiliaires de performance. Sans eux, l'autre n'est plus qu'un soliste sans orchestre. Sans eux, ses habits de star ne sont plus que des oripeaux de paillettes et de vent.
Les gens brillantissimes ne mettent pas les mains dans le cambouis. Ça ne fait pas don de sa personne dans l’intérêt supérieur de la collectivité.