Si quelqu'un nous dit qu'il voit les choses autrement que nous, qu'il trouve beau ce que nous trouvons laid, nous pouvons être amenés à quitter la pièce par ennui ou par embarras ; mais c'est là faiblesse et défaut de notre part. S'il nous faut vivre constamment avec l'impression que les monde est trop grand, que les hommes qui l'habitent sont trop nombreux pour nous, sachons mesurer notre vertu au fait que nous le savons et que nous ne cherchons pas de consolation. Mais, par-dessus tout, ne proclamons pas que les limites de notre capacité correspondent à quelque sagesse spéciale qui se manifeste dans le choix de notre façon de vivre, dans ce qu'il nous a été donné d'apprendre, ou dans notre façon de concevoir la beauté.
Quand il me faut traiter un sujet au titre particulièrement prétentieux, et que je dois me limiter à des observations presque banales, je ne peux m'empêcher de penser à une histoire qui remonte à bien longtemps ; elle me revient à l'esprit toutes les fois où l'on soulève une question générale sur l'utilisation de l'énergie atomique. A l'université de Californie, j'avais un collègue qui s'appelait Arthur Ryder. Il se sentait seul et aimait bien promener des petits enfants pour les distraire, leur offrir un glace. Un jour, il emmena une petite fille mes amies ; comme l'enfant paraissait s'ennuyer, il essaya de la faire rire en remuant les oreilles. Elle le regarda, puis demanda : "Oncle Arthur, comment faites-vous ça?" Mon collègue réfléchit profondément et, au bout d'un moment, il dit : "C'est assez difficile à décrire. On éprouve une sorte de sensation de tension générale.
Cela ressemble tellement à l'esprit dans lequel se font toutes les entreprises atomiques, que je voudrais dire quelques mots sur la raison de cette sensation de tension ou, tout au moins, sur quelques-unes des raisons qui peuvent causer cette sensation.