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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2019 #5 °°° 

D'abord, un prologue, militant et stimulant, pour préparer le lecteur à recevoir comme il se doit ce magnifique et douloureux roman. Pédagogique avant tout, égrenant des temps forts de l'histoire amérindienne comme le massacre de Sand Creek en 1864. Nécessaire pour introduire les douze personnages que l'on va suivre : des Indiens urbains, nés en ville, loin des clichés, «  plus habitués à la silhouette des gratte-ciel d'Oakland qu'à n'importe quelle chaîne de montagnes sacrées, au hurlement des trains dans le lointain qu'à celui des loups, nous sommes plus habitués à l'odeur d'essence, de béton coulé de frais et de caoutchouc brûlé qu'à celle du cèdre, de la sauge, voire du frybread – ce pain frit qui n'a rien de traditionnel, comme les réserves n'ont rien de traditionnel. »

Les choses sont claires. le roman peut commencer. Un roman choral qui donne la parole de façon très intime à des personnages, tous urbains d'Oakland tous mal dans leur vie, qui se posent tous, de façon plus ou moins aiguë, ( Californie ) la même question : que signifie être indien ?
Ils sont homme, femme, jeune, moins jeune, métis, adopté par des Blancs, inscrits sur le registre d'une tribu ou pas, avec un nom indien ou pas ... chacun est en quête de ses origines indiennes, se sentant inauthentique tel quel. Tous vont converger vers le Grand Pow-Wow d'Oakland ( un rassemblement festif autant qu'une occasion pour les Amérindiens de faire vivre leur héritage culturel ) . Tous vont être liés par un événement, certains le sont déjà par des liens du sang qu'ils ne connaissent pas encore et ne découvriront peut-être jamais.

«  Si dans le premier acte vous dites qu'il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu'un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. » Anton Tchekhov
La terrible règle du fusil de Tchekhov ... Au premier chapitre apparaît un revolver imprimé en 3D. Cette présence crée d'emblée une tension, une menace qui ne cessera de planer tout au long du roman. Quel que soit le personnage qui se raconte, on y pense à ce revolver qui va forcément servir, sans qu'on sache sur qui le feu s'abattra.

Au-delà de cette tension, le choeur des personnages emporte rapidement le lecteur dans un tourbillon romanesque bouillonnant de bruit et de vie, mais aussi dans une ambitieuse méditation sur l'identité et ses alternatives brisées. Les personnages des soeurs Opale Viola Victoria Bear Shield et Jacquie Red Feather sont absolument sublimes de complexité.

La construction de ce roman est d'une classe folle, chaque voix touche, interpelle, bouleverse, fait craindre, répond à la suivante dans une chaîne qui explose dans les cinquante pages, incroyablement percutantes. On les attendait, et lorsqu'elles arrivent, elles déflagrent puissance mille et vrillent notre coeur. Je les ai lues comme en transe, les récits se télescopant pour raconter la même scène. C'est un grand moment de littérature et presque de cinéma tellement j'ai eu l'impression de voir, entre ralenti, léger différé, « split screen ». C'est brillant !

Ce premier roman intelligent, puissant, singulier, plein de rage et de poésie, porté par une écriture lumineuse, résonne comme une alarme sur la désolation qui survient lorsqu'un peuple cherche à dominer un autre et à l'assimiler de force. Mais plus largement, ce roman n'est pas que celui de la contre-histoire de la tragédie amérindienne. Il est bien plus universel que cela, c'est toute l'Amérique des grandes métropoles qui est contée : alcoolisme, violences familiales, misère, quête d'identité de ceux qui sont en marge.

Incontournable pour les amoureux de la littérature nord-américaine et pour ceux qui s'intéressent à la culture amérindienne.

Lu dans le cadre du Picabo River Book Club
https://www.facebook.com/groups/806652162778979/
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