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Citations sur Vous me reconnaîtrez (2)

p.70 « La vie est une garce, elle amorce des virages non signalés. »

p.94 « Rencontrer sa fiancée à l’enterrement d’un homme que l’on a assassiné, cela peut paraître insensé. »

p.119 « Ma mère est une banlieue parisienne ; je suis son cambrioleur. Je lui fais peur. »
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– 1ère classe Dupont, un pas en avant... Rompez ! Caporal Durant, un pas en avant…
La distribution du courrier se poursuit sans que jamais le sergent ne cite mon nom. Aujourd’hui encore, je ne sortirai pas du rang. Rien. Bien sûr, certains n’en ont pas eu cette fois, mais eux l’ont reçu hier matin ou bien, ils l’obtiendront demain, pas moi. Personne n’écrit au soldat que je suis.
– Distribution terminée ! Soldats, rompez les rangs !
Oui, c’est fini. Je suis resté planté comme à l’accoutumée sans que le vaguemestre ne me remette quoi que ce soit. Les copains me regardent en coin, ils s’interrogent. De piètres moqueries fusent :
– Hé, Ducon ! Tu sors de la S.P.A ou quoi ? On sait pas écrire dans ta famille ? T’as pas d’amis ?
Non, je n’ai pas d’amis, je ne connais personne, enfin... pas vraiment. Je n’ai plus de famille, c’est la raison de mon incorpora10
tion dans l’armée, qui elle, a prétendu que c’en était une, une grande, au sein de laquelle chacun pouvait trouver sa place. Chaque jour, je constate pourtant que, lorsque l’on ne correspond pas exactement aux critères définis, on nous épingle une étiquette dans le dos, comme partout ailleurs. Moi, c’est Ducon. Les autres me fuient, ils se méfient. Ils ne comprennent pas ce manque de lettres, cette distribution qui me laisse collé sur place, le torse droit, la tête haute et les mains vides. Un type à qui personne n’écrit n’est pas digne d’intégrer cette belle fratrie. Il y a des bruits qui courent sur mon compte, il y en a même qui me rattrapent. De temps à autre : ils meurtrissent mes oreilles.
Je n’ai pas de fiancée, pas même l’espoir d’une ; je suis coincé. Trop confus dans mes pensées, mes gestes se font gauches face au sexe opposé. Elles me font peur, les filles. Je les soupçonne de détenir un étrange pouvoir, celui de lire dans ma tête, dans mon passé. Elles me déshabillent puis analysent ma nudité. Si je les fais rire, c’est à mes dépens...
Demain, quarante-huit heures de permission. Je dois partir comme les autres : mon sac à dos débordant de linge sale comme si je rentrais à la maison pour le confier à une mère attentive afin qu’elle me le rende lavé et repassé. Cette fois, je ne vais pas renouveler le scénario de l’autre jour : partir en retard pour rater un train qui ne m’emmènera, de toute façon, nulle part. Penchés aux fenêtres des wagons, les copains riaient en m’apercevant. Sur le quai, je courais tel un dératé comme si j’espérais rattraper le convoi. De la main, ils esquissaient des signes d’adieu, ils s’amusaient. Cyril m’a crié :
– Hé Ducon ! Ne t’inquiète pas, on pensera à toi ! Bien le bonjour aux copains de la caserne !
Moi aussi je riais. Oui, je me gaussais intérieurement, heureux de les avoir bernés. Grotesques guignols répondant à ma mise en scène. Le sergent chargé d’assurer la navette m’a ramené aux quartiers. Face à ma mine dépitée, lui aussi est tombé dans le panneau. Il s’est même senti obligé de me gratifier de quelques tapes amicales, manière de me consoler. Au fond, c’est probablement un brave type. Il était navré de me savoir bloqué ici pendant ma perm. Pas de train avant le soir ; huit heures de trajet aller, idem pour le retour ; c’est ce que j’avais prétendu. Pas fou, j’avais choisi une ville très éloignée afin de justifier ma présence quasi permanente à la caserne. Un superbe alibi, bien joué soldat Dylan ! Sur la route du retour, le sergent m’a proposé de boire un verre avec lui, ce soir, en ville. J’ai refusé. Je me méfie des gradés et puis, j’économise. Oui, je ne dépense que le strict minimum. Je veux m’acheter une maison, ma maison. Paraît que les filles ne rêvent que de ça. La mienne de maison, sera grande avec un tas de chambres, un immense salon, une cheminée en pierres apparentes et puis une vaste salle à manger en merisier. Je mettrai des tapis partout ou bien de la moquette. La cuisine sera spacieuse et lumineuse. Les femmes sont sensibles à cela. Normal, elles y passent le plus clair de leur temps. Ma femme sera une sacrée cuisinière : je suis gourmand ! Nous aurons une flopée de gosses et aucun ne se sentira seul. Les enfants uniques, ce n’est pas bon, ça ne sait pas se mélanger aux autres. J’en suis la preuve.
Ma mère n’en voulait pas ; elle m’a eu par hasard. Elle n’a jamais plus recommencé... Elle ne me parlait pas. Elle agissait comme ça, sans rien formuler. Quand je faisais trop de bruit, elle ne se fâchait pas, ne criait pas. Elle me saisissait par le bras et m’enfermait dans la chambre d’amis, celle où personne ne venait jamais. Pas le moindre jouet dans cette pièce close où les volets ne s’ouvraient guère. Ma mère l’aérait une fois par mois. Sans doute, les relents de solitude taquinaient-ils son odorat sensible. En ce temps-là, je n’avais pas de père. J’ignorais tout de lui : son nom, son âge, sa profession et ces menus détails qui rendent une personne vivante. Quelle importance ? C’était déjà difficile d’avoir une mère, alors un père... Dans mes moments de colère ou de révolte, je m’imaginais être le fruit d’un viol, un soir de juillet. J’étais le portrait craché (oui, craché ! Ce terme convient parfaitement) de cet homme, la mémoire brûlante de cette union violente. Ma mère se sentait agressée, déchirée à chacune de mes apparitions, alors elle se taisait. Le silence était son unique moyen de rébellion. Rébellion ou soumission ? La question restait posée. Moi, je la disais soumise à ce coup du sort dont j’étais à la fois le centre et la victime. Pour l’avoir si peu entendue, je me souviens parfaitement des intonations de sa voix. Elle était sèche comme une branche tombée d’un arbre foudroyé. Avec le temps, j’ai appris à aimer ce silence. Avez-vous remarqué, lorsque les mots sont absents, des codes se mettent en place. Un froncement de sourcil, un poing qui se serre, une bouche qui devient amère et l’on pressent l’orage. Alors, on cherche, on passe en revue chaque minute, on décortique chaque seconde afin de comprendre quel déclencheur a fait basculer la situation vers la colère et la sanction. La chambre d’amis. J’ai mis un « s » parce qu’elle est peuplée de mes fantômes, ceux qui m’ont tenu compagnie durant des heures, des jours, des nuits, une vie.
Voilà comment je m’expliquais le mutisme de ma mère, vous comprenez, il fallait bien justifier son attitude pour éviter de sombrer dans la folie. J’ai cherché le pire, le viol m’a paru correspondre. Personne n’aime le fruit de la brutalité ; ma mère ne faisait pas exception à cette règle. J’étais le mal, j’étais donc le plus fort.
Tous ces raisonnements sont tombés en désuétude dernièrement. Cela coïncide étrangement avec mon départ de la maison.
Je suis sorti un jour et ne suis plus revenu. Je n’ai rien dit, je n’ai même pas pris la peine de prévenir de ma décision et elle, elle ne m’a jamais cherché. Elle a dû constater mon absence comme autrefois elle constatait ma présence. Aujourd’hui, je me suis fabriqué une autre famille. Certes, elle est encore un peu distante et éparpillée, mais je vais y remédier. Je suis soumis à la réussite, à l’obligation de résultat ! Les gars ne me connaissent pas, c’est là un de mes principaux avantages. Dans ma tête, nombre d’atouts se bousculent. Parfois, ils me parlent, ils me disent : « Va, avance ». J’en frissonne de joie et tremble d’effroi. C’est si fort ! Je dois maîtriser mes ressentis, pas d’émotion trop vive sinon, ma logique s’embrouille. Je suis un serpent, un animal à sang froid. Pour l’instant, je mue doucement, chaque jour un peu plus, un peu mieux. Ma vieille peau sèche au soleil. Elle est invisible aux yeux des autres mais moi, moi je la sens se craqueler progressivement.
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