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Critique de deidamie


Avertissement : l'anecdote ouvrant cette critique est une semi-fiction. Je n'ai pas été embêtée dans le métro récemment. J'insiste sur le mot « récemment ».

« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, je suis super énervée !

-Ah bon ? Pourquoi ?

-Parce que je prenais le métro ce matin, tranquille, je me récitais mes chansons préférées d'Ultra Vomit pour passer le temps en m'amusant…

-Et alors ?

-Et alors, devant moi, il y a ce type, il me dévisage ! Enfin… vu ce qu'il matait, je devrais dire « il me dépoitrine », mais ça n'existe pas.

-Je vais me répéter, mais… et alors ?

-Et alors ce dégueulasse me regardait de façon obscène et dégueulasse, tu sais, le regard qui te dit « mmmh, voilà un morceau de viande que je passerais bien à la casserole » ! avec un petit sourire en coin de pervers dégueulasse satisfait et il n'arrêtait pas !

-Tu lui as hurlé dessus ?

-Non, euuuh… non, je suis partie dans un autre wagon. Parce qu'il me flanquait les chocottes.

-Bon, en même temps Déidamie, ça vaaaa, il ne t'a rien fait, le gars. Tu peux quand même pas reprocher aux gens de regarder, hein ! En plus, tu peux même pas prouver que son regard était obscène. Et quel rapport avec la critique du jour ?

-Ah oui. Alors aujourd'hui, on va parler d'un manga qui s'appelle Les liens du sang, tome 1, signé par Shûzô Oshimi.

Or donc Seiichi a quatorze ans et vit sa vie banale et tranquille de collégien, entre ses copains relous mais sympas, son père absent et sa mère affectueuse. Un jour, Shige, son cousin, lui dit « Ta mère te couve trop ». Seiichi se fâche, mais doute désormais. Est-ce que le comportement de sa mère est normal ?

Alors, la première chose qui m'a fait désirer ce manga de tout mon petit coeur ardent, c'est la jaquette. Regardez cette beauté ! le portrait d'une mère et de son bébé, façon aquarelle, un portrait qui dégage amour, chaleur et sérénité. Cette maman est comblée par la maternité, ça se voit.

Hélas, le contenu illustre une fois de plus l'adage selon lequel une couverture n'est pas fiable : Les liens du sang ne raconte pas une belle histoire entre une mère et son fils, mais décrit une relation malsaine et abusive.

-Ouaaaais… alors, moi je tiens à dire que dans tout le début, je vois rien d'abusif, hein… c'est juste une mère qui adore son fils, voilà tout ! C'est normal de faire des câlins et des bisous ! ‘Fin, je crois…

-Oui, c'est normal, mais pas de sa façon à elle. Et c'est là, l'un des points forts de ce manga : pris isolément, aucun des faits ne prouve quoi que ce soit. C'est quand tu les mets tous bout à bout que tu sens que quelque chose de malsain se trame.

Et comme les faits ne dépassent jamais la limite de l'indécence, de l'insupportable, ils sont impossibles à reconnaître comme malsains. Seiichi, bien qu'averti par Shige, ne peut pas réagir ni intervenir : même s'il est mal à l'aise, il ne peut pas dire que les bisous, il en a marre. Quoi de plus normal, les bisous sur la joue par maman ?

Le manga joue sans cesse sur cette limite, sur cette façon d'instaurer une ambiance trouble, où les gestes innocents ne le sont pas, mais pour des raisons impossibles à verbaliser, parce que tout repose sur l'intangible, le non-dit. Tout repose sur ce que tu ne peux ni nommer, ni… prouver.

-Aaaah ! C'est ça, le rapport avec le pervers du métro ! Il te fait sentir sale, mais tu ne peux rien dire, vu qu'il n'y a rien de concret.

-Exactement. Et dans le cas de Seiichi, la sensation de malaise se double d'angoisse : et s'il se trompait ? S'il interprétait tout mal ?

-C'est pas dit explicitement, ça…

-Non, en effet, je le déduis de ses expressions.

-Ouais, mais bon, tu parlais « tout est dans l'ambiance ». Concrètement, je vois pas comment c'est fait.

-Par l'utilisation abondante de gros plans sur les visages.

-Euuuh, Déidamie, c'est la norme en matière de mangas !

-Pas comme ça. Pas de façon aussi intense, aussi… hors sujet. Cette accumulation de gros plans provoque une sensation d'oppression, d'étouffement. Un peu comme si la mère devenait tout l'univers de Seiichi : plus rien n'existe en dehors d'elle.

Les yeux et les bouches sont travaillés avec un soin particulier, tu peux même voir les gencives de certains persos. Parfois, ils ressortent si nettement, si noirs, si foncés dans le blanc qu'ils en paraissent inquiétants. Un peu comme si quelque chose de mal pouvait arriver par eux. Ce qui n'est pas tout à fait faux : le regard et les paroles peuvent blesser durablement.

J'ajoute le fait qu'il fait chaud. Très chaud.

-C'est normal, Déidamie, on est en août, l'été, tu te souviens ?

-Mais non, banane. L'histoire se déroule dans une petite ville de province où il fait très chaud. Tout le monde est donc moite et rougissant, ce qui achève de coller une atmosphère poisseuse sur l'histoire.

Les liens du sang ne contiennent pas de scène insoutenable dans ce premier tome. Et la conclusion dudit tome s'est révélée tout à fait inattendue.

Bref : un dessin bellement travaillé, une histoire mise en scène avec subtilité, une ambiance glauque parfaitement réussie sans sombrer dans le sordide ni dans l'horreur : ce manga est bien parti pour être mon coup de coeur de l'année. »
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