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Critique de MarianneL


Mémoire à vif de la dictature argentine.

Paru en 2009, et traduit en français par François Gaudry en 2010 pour les éditions Métailié, et maintenant disponible aussi en numérique aux éditions e-fractions, ce troisième livre de la journaliste et écrivaine argentine Elsa Osorio délaissait provisoirement la forme du roman pour poursuivre avec ces douze nouvelles la construction d'une oeuvre qui explore, par le prisme des destins individuels, de la peur et des souffrances intimes, les meurtrissures indélébiles de la dictature, des disparitions et de la torture, la vérité dissimulée et les trahisons même au sein des familles, ainsi que le destin des enfants disparus, comme dans «Luz ou le temps sauvage».

Les nouvelles, parfois très courtes, ont été écrites sur une longue période, pendant la dictature ou vingt ans plus tard. Elles se déroulent souvent, loin de la dictature et de l'Argentine, dans cette Espagne où Elsa Osorio a elle aussi vécu, avec une distance temporelle et géographique qui a permis «sinon de tout oublier, du moins que ces histoires se voilent et ne blessent plus autant».

Là, les ténèbres enfouies dans les couches de la mémoire, et certains embranchements étonnants de l'existence, ressurgissent au travers d'une faille ouverte par le hasard, lors de la rencontre fortuite de Marcos Waissman dans un train avec l'homme qui a usurpé son identité bien des années auparavant pour échapper à la dictature (Le rétrogradé), ou lorsqu'une femme reconnaît après vingt-six ans un électricien comme l'un de ses bourreaux (Sept nuits d'insomnie).

«Mais il lui a suffi de ces cinq minutes chez Pilar et de voir ces dents d'une blancheur répugnante pour que tout ce solide édifice – famille, mari, profession, amis – s'écroule et qu'elle en soit là, en proie à ses souvenirs.
Elle doit pouvoir parler avec Pepon, elle ne veut plus continuer à vivre dans l'ignorance et l'occultation, elle veut tout savoir : s'il a failli tomber de l'avion d'où on précipitait à la mer ses camarades vivants, s'il était avec elle pour lui soutirer des informations, s'il croyait vraiment qu'elle allait sortir, la maison au bord de la mer, les trois enfants, ou si c'était une torture plus sophistiquée que celle de Pajarito, une manière de s'installer en elle, de faire d'elle sa complice et de continuer à la souiller, toute la vie.» (Sept nuits d'insomnie)

Ce hasard et ces images qui reviennent créent une distorsion du temps et de l'espace, une sensation d'irréalité.

«Écoute-moi bien : je ne veux pas que cette nuit, ni jamais plus, tu reviennes te montrer par ici, dans cette eau sale où tu flottes. Cesse donc ce petit jeu. Qu'est-ce que tu cherches à faire ? M'épuiser, m'affoler ? Toutes les nuits, à peine je ferme les yeux, tu viens vers moi en flottant, tes mains blanches et gonflées s'enfoncent dans l'eau et jouent avec des formes obscures, se retournent et flottent tandis que tes yeux me perforent. Pourquoi me regardes-tu ainsi ?» (Père et patriote)

Certaines nouvelles s'aventurent dans d'autres territoires, oniriques ou à la lisière du fantastique, comme «Son petit et sordide royaume», où la peur d'une femme ne s'apaise que dans le chaos grandissant de l'appartement inhabité d'une amie, ou comme dans «Imitations», le destin d'un homme qui ne reconnaît plus, parmi toutes les femmes identiques qui l'assaillent, laquelle est son épouse authentique, en chair et en os.

«- Je ne sais pas qui elles sont, ni à qui elles répondent, ni ce qu'elles veulent. Elles sont de plus en plus assidues et perfectionnées. Je ne peux plus les distinguer de toi. C'est pour cela qu'on ne se voit pas beaucoup, elles exigent continuellement ma présence.» (Imitations)

Malgré les marques indélébiles de l'Histoire, le titre original en espagnol du recueil, «Impasse avec issue», reflète néanmoins l'espoir, l'importance de maintenir la mémoire vive et la possibilité de continuer à vivre.

«La respiration régulière de Ramón l'apaisa, avec lui elle était loin, très loin de ces deux canailles, dans un autre pays, une autre époque. Ramón souriait dans son sommeil et elle pensa combien étaient différents les rêves de son mari endormi et les cauchemars qu'elle faisait éveillée.» (Sept nuits d'insomnie)

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/06/06/note-de-lecture-sept-nuits-dinsomnie-elsa-osorio/

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