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Critique de SZRAMOWO


Une fois de plus, Padura nous entraîne dans le Cuba mythique des années 1950. Notre guide est le commissaire Mario Conde, mais cette fois, il n'est plus flic, mais vendeur de beaux livres....Padura titille les rivages ambiguës de notre personnalité, comme le sont ceux de ses personnages. Nous aimons l'authenticité de l'Espagne de Franco, du Cuba de Batista, mais nous nous en défendons...voire !
Les héros du livre avaient 18 ou 20 ans dans les années 1970, il se sont écorchés les mains pendant la grande campagne de coupe de la canne à sucre, celle qui devait sauver le pays, sortir l'île du marasme économique dans lequel l'embargo l'a plongé. Près de trente ans plus tard, ils constatent, amers, qu'il ne leur reste que les ampoules aux mains et les cals.
Personne à Cuba ne croit plus à la grande révolution castriste et, la «démerde» bat son plein, dans un système qui refuse de jeter l'éponge et de passer à autre chose, mais tolère des pratiques qu'il réprouve officiellement.
Dans ce conetxte explosif, les bibliothécaires payés deux-cent-soixante pesos par mois, alors qu'ils ont la responsabilité d'ouvrages dépassant les plusieurs milliers de pesos, sont tentés, et certains n'hésitent pas à franchir le pss, troquant sur des marchés parallèles, des ouvrages qu'ils sont chargés de conserver en l'état pour les lecteurs. Mais la perspective de gagner en un rien de temps jusqu'à vingt mois de salaire, est plus forte que tout.
Drogue, prostitution, rackets, dans des quartiers dont les immeubles s'effondrent, malgré les étais qui permettent de continuer à vivre, sont les autres alternatives. Brader les fonds culturels du pays apparaît moins risqué et finalement pas si grave que cela.
Mario Conde est un sentimental, il est entouré de ses amis nostalgiques d'une époque, celle où ils pirataient les disques interdits des Beatles, des Creedence Clearwater Revival et autres Chicago.
Ils sont simplement nostalgiques de leur jeunesse, même s'ils ne croient plus aux idéaux qui l'on bercée.
Ils n'y seront jamais indifférents.
La générosité et la solidarité vraies est ce qui leur reste de cette époque. Générosité et solidarité dont chacun sait faire preuve lorsqu'une bonne fortune croise son chemin. Il est acquis qu'il en partagera les bénéfices avec ses amis de toujours, rhums vieux, cigares, plats fins, fête au menu...
Mario Conde, vendeur de livres anciens, s'est associé avec Yopi El Palomo, un jeune homme dont il est l'aîné de plus de trente ans. Ce dernier fait aussi dans le commerce des livres anciens et traite Conde et ses amis (Carlos El Flaco, sa mère Josefina, Caudito El Rojo, Conejo), de martiens.
La fortune leur sourit seulement lorsque le hasard le veut bien (ces hasards leurs sont souvent annoncés par une prémonition de Condé, son faux début d'infarctus le chatouille et il sent qu'il va se passer quelque chose d'extraordinaire)
Pour Conde, cette fois, le hasard met sur son chemin la bibliothèque des Montes de Oca, une richissime famille cubaine.Un trésor estimé à plusieurs milliers de dollars américains, même si Conde considère qu'un bon tiers de ces livres ne doit pas quitter Cuba, au grand dam de son associé qui a beaucoup moins de scrupules que l'ex policier.
Cependant, la bibliothèque recèle autre chose que des livres et ramène Conde et El Palomo à l'histoire ancienne de Cuba, base arrière de la maffia américaine, avec Meyer Lanski, Joe Luciano et autre parrains venant en villégiature sur l'île, souvent avec la bénédiction des USA et du dictateur Batista. Nous étions à l'époque du Tout Sauf le Communisme (TSC).
Conde découvre ainsi l'existence de Violeta del Rio, une chanteuse de boléro qui fait tourner la tête à tous ceux qui l'entendent, hommes ou femmes.
«Je suis foutu ! Il va falloir que je sache qui était cette femme et ce qui a bien pu lui arriver.»
« Elle avait un timbre un peu rauque, de femme mûre qui a beaucoup bu dans sa vie, elle n'élevait jamais trop la voix, elle disait presque les boléros plus qu'elle ne les chantait et dès qu'elle se lançait, les gens se taisaient, ils en oubliaient leurs verres, parce qu'elle avait quelque chose d'une sorcière qui hypnotisait tout le monde, les hommes et les femmes, les souteneurs et les putains, les ivrognes et les drogués, car les boléros elle en faisait un drame et pas n'importe quelle chanson (...) comme si c'était les choses de sa propre vie qu'elle racontait là, devant tout le monde.»

Son suicide, au fait de sa gloire, reste un mystère, est-il un meurtre maquillé, où un pur hasard survenu en même temps que des épisodes de l'histoire la plus sanglante de la mafia.
L'assassinat de Dionisio, le fils de la gouvernante de Alcides Montes de Oca ne serait-il pas lui aussi en line avec la mort de violeta ?
Conde, bien que vendeur de livres, est embarqué dans une enquête qui le force à redevenir le flic affûté, remonter le temps, à interroger des témoins d'un âge canonique dont aucun, pourtant n'a perdu la mémoire :

Le journaliste et critique musical, Rafael Gíro :

« le boléro, c'est pas n'importe quoi, bine sûr que non : pour le chanter, il faut l'assumer plutôt que l'éprouver. le boléro n'est pas une réalité, mais un désir de réalité auquel on accède à travers l'apparence de la réalité, vous me suivez ? C'est pas grave...»

Le timbalier de l'orchestre Rogelito :

« (...) ce jour là, elle ne travaillait pas, mais elle chantait parce qu'elle avait envie de chanter et Frank Emilio au piano avait très envie de jouer et comme tous les deux en avaient très envie, ce qu'ils ont fait cette nuit-là, c'est quelque chose qu'on n'oublie jamais, même si on vit mille ans. Je t'ai déjà dit que Violeta était un sacré beau brin de fille ? D'accord, elle avait dix-hui ou dix-neuf ans et à cet âge-là, elles sont toutes appétissantes, même la mère Teresa de Calcutta ! »

Kathy Barqué, la chanteuse de boléro dont le succès est menacé par le le talent érotique de Violeta, la chanteuse à la voix envoutante :

« Tout à coup, cette Violeta a fait son apparition, décidée à me prendre ce qui m'appartenait . Elle avait la jeunesse, un corps, je crois qu'elle avait même un coeur, mais il lui manquait les ovaires...et un maître pour lui apprendre à chanter.»

Tous confirment peu ou prou l'intuition de Mario Conde.

Une plongée historique dans ce Cuba disparu qui survit uniquement par la musique, les voitures américaines, et une nostalgie qui étreint toute la société cubain, malgré les promesses de Castro et les privations connus sous l'ère Batista.
Conde fait oeuvre d'historien, au delà de l'intrigue policière menée de façon admirable, un meurtre, des suspects, des témoins, des mensonges, des demi-vérités. le roman nous permet de découvrir un monde englouti que le film de Wim Wenders, Buena Vista Social Club nous a montré la partie émergée. Padura nous entraine au fonds dans une apnée dévastatrice. On pense aussi en le lisant, à la série HBO Boardwalk Empire dans laquelle Meyer Lansky et Joe Luciano apparaissent.
La leçon de ce livre émouvant de nostalgie, écrit avec maestria, documenté avec précision, est qu'au delà des systèmes qui veulent les maîtriser, les asservir, leur livre des prêts-à-penser, les humains font toujours preuve d'une imagination qui peut quelquefois dépasser le pire...soit construire un univers de valeurs étanche qui leur permet d'échapper un temps au rouleau compresseur de la norme morale religieuse ou économique.

Je recommande chaudement la lecture de Les brumes du passé...

Comme chante Violeta del Rio :

«Je serai dans ta vie, le meilleur
Des brumes du passé
Quand tu parviendras
à m'oublier,
Comme le plus beau ver est
celui
dont on ne peut
se souvenir...
Oui, maintenant...
Quitte moi.

Ne pleurez surtout pas...courez vite lire Les brumes du passé !
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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