AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ma_dalton


"Athlète de haut niveau le jour, voleur de bas niveau la nuit", Toumany Coulibaly, un jeune homme de 27 ans, beau, intelligent, talentueux, père de quatre enfants finit par accumuler des peines de prison équivalentes à celles d'un braqueur à main armée alors qu'il ne commet que des petits vols (souvent des cellulaires) et sans violence. Adolescent, il se tient même à l'écart des parties de foot de son quartier tellement il déteste le contact. Son séjour en prison et son casier judiciaire réduisent à néant ses chances de participer aux Jeux Olympiques. Il gâche sa vie. C'est absurde, c'est insensé ! Il y a manifestement quelque chose qui ne tourne pas rond!
Mathieu Palain va rencontrer Toumany Coulibaly pendant 2 ans au parloir de Réau. Écrivain et journaliste, il s'est beaucoup intéressé aux détenus et à l'univers carcéral avec en filigrane une question qu'il partage sans doute avec beaucoup d'entre nous : pourquoi certains s'en sortent et d'autres pas ?
Non, il n'existe pas de gène de la délinquance. Pas de déterminisme biologique.
Non, on ne naît pas violent.
On le devient.
Mathieu interroge alors le déterminisme social en évoquant le syndrome du banlieusard, cette difficulté de se détacher physiquement et mentalement de l'univers des cités. Toumany vient d'une famille d'immigrés maliens de 18 enfants. Ils sont pauvres, le père bigame est éboueur à Paris et sacrificateur dans un abattoir hallal. Ils habitent dans la banlieue sud de Paris, une maison de 2 chambres où le garage est transformé en dortoir. Ce ne sont évidemment pas des conditions qui favorisent un bon départ dans la vie mais cela n'explique pas tout. Aucun des 17 autres enfants n'a vraiment connu de problème avec la justice et tous se sont trouvés une place dans la société.
Il faut donc aller chercher ailleurs dans le parcours individuel de Toumany pour comprendre – sans y parvenir tout à fait – les raisons d'un tel gâchis.
Il faut remonter loin dans son enfance pour trouver un événement qui est peut-être au coeur de sa carrière de voleur. Il a 4-5 ans et se trouve dans supermarché, un ED avec sa mère, Nima. Il veut des bonbons, mais celle-ci n'a pas d'argent. Il crie, se roule par terre, la mère envisage la fessée en public mais se ravise, éventre un sachet de bonbons, lui en met un dans la bouche et laisse le sachet sur le rayon. Un client intervient : « C'est comme ça que vous remerciez la France de vous avoir accueillis! » Toumany a honte pour sa mère. Il a sans doute honte de lui aussi et il s'est dit, du haut de ses 4 ans, : « Un jour, je volerai pour elle. » Est-ce sa façon de se défendre face à l'humiliation? La provocation ? Est-ce à dire qu'il a décodé le comportement de sa mère comme disant quand tu ne peux te payer ce que tu veux, prends-le mais arrange-toi pour ne prendre que ce dont tu as besoin? Est-ce à dire que dans l'esprit de ce petit garçon, c'est déjà le « no future » pas d'avenir ailleurs que dans la délinquance ? Il aurait pu se dire quand je serais grand je deviendrai tellement riche que je lui offrirai tout ce qu'elle veut, ma maman chérie.
Ce dont je suis sûre par contre, c'est que Toumany a un côté releveur de défis et qu'il est aussi très généreux. Lorsqu'il voit Hussain Bolt courir à la télé et se dit : « Un jour je serai plus vite que lui. », à son oncle qui l'a attaché à un arbre et qui le fouette, il lui dit : « C'est tout ce que tu as dans le bras »?
Il vole pour les autres : enfant, il distribue dans la cour de récré des tamagotchi qu'il a volé, il paye les permis de ses frères et soeurs.
Il vole pour avoir l'amour des autres, il vole parce que c'est quelque chose qu'il fait bien et que c'est aussi sa seule façon d'être valorisé. Il vole parce qu'il est loyal à ses potes et qu'il ne sait pas dire non. Il vole parce que c'est devenu son sport préféré et qu'il est devenu addict à ses décharges d'adrénaline. Il vole pour dire « J'existe » mais sans doute un peu aussi pour dire « je vous emmerde », la revanche du gentil garçon qui sourit toujours.
Dans son parcours, il y a aussi, des « pas de chance » répétitifs. Des portes qui se sont ouvertes mais qui se sont vite refermées.
Il aurait pu découvrir l'athlétisme avant la délinquance, avant la prison. Un prof à l'école primaire, impressionné par ses dons d'athlète avait recommandé à sa mère de l'inscrire dans un club. Elle a refusé pour ne pas user inutilement son coeur.
Il aime apprendre mais il quittera l'école à 13 ans à la suite d'un incident ridicule où un fou rire incontrôlable dégénère en confrontation avec le professeur. Il pleure devant le conseil de discipline. Apprendre c'est tout pour lui, malade pas malade, il est là tous les jours. Il n'est pas expulsé de l'école mais son père l'envoie dans un bled au Mali.

On ne peut qu'être touché par cet enfant qui a dû grandir trop vite, se débrouiller seul, ne jamais être supporté, ne pouvoir compter sur personne, par cet adolescent qui n'a pas pu se construire en faisant ses choix : étudier, ne pas avoir d'enfant. Cet être humain si seul mais qui n'a jamais arrêté de courir, qui n'a jamais abandonné, qui ne s'est jamais résigné. Il court, s'entraîne tous les jours, monte des vidéos en prison, il a complété un BTS en comptabilité. Il se prive de cantine pour offrir des cadeaux pour Noël à ses enfants …
J'espère de tout coeur qu'il va réussir à contrôler ses démons et construire son bonheur.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre et j'en retiens surtout l'histoire d'une extraordinaire d'amitié, celle de Mathieu Palain et de Toumany Coulibaly. Mathieu est sorti du cadre de son rôle de journaliste-enquêteur pour s'engager vis-à-vis de son double ou du frère qu'il n'a jamais eu, Toumaly lui, a pris le risque de s'ouvrir, de faire confiance et de demander de l'aide (par exemple pour éviter le racket d'autres prisonniers.)
Livre vibrant d'humanité qui mérite vraiment les prix qu'il a obtenu.
Bravo !

Commenter  J’apprécie          210



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}