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Critique de Malaura


Avec ce poignant récit autobiographique, Jean-Noël Pancrazi gravit, à 63 ans, la montagne du souvenir.
Un chemin difficile à entreprendre, une ascension pénible mais nécessaire car jamais exprimée, un voyage laborieux au coeur d'une mémoire tourmentée par un épisode traumatisant de l'enfance qui a conditionné toute sa vie d'homme et d'écrivain.
Grain de blé dur, noir, épais, comme ceux que l'on traitait dans la minoterie où travaillait son père, là-bas à Bordj Bou Arréridj, qui a enrayé pendant de nombreuses années les rouages de sa conscience et qu'il lui fallait, à l'aube de la vieillesse, extraire et exorciser.

Né dans une petite ville Algérienne en 1949, il avait huit ans pendant la guerre d'Algérie...pardon, il ne faut pas dire la guerre d'Algérie, il faut dire « Les Evénements »…
Un après-midi calme de juin, les attentats avaient un peu cessé ; presque un temps de paix…Le petit garçon jouait avec ses camarades dans la cour de la minoterie. Ils étaient montés à l'arrière de la camionnette, heureux, confiants, ravis que le chauffeur leur propose d'aller faire un tour là-bas, sur la montagne pourtant interdite, « là où il y avait, croyaient-ils, des ravins pleins de scarabées et de trésors enfouis de guerriers ».
Mais lui, il était resté, il avait refusé la proposition, se contentant de les regarder partir, ses six petits camarades assis sur la plate-forme de la camionnette, et dans la minoterie désertée durant la sieste des ouvriers, seul, il avait attendu, longtemps, très longtemps, jusqu'à ce que le soir tombe et qu'un vent de panique froid et glacé souffle de la montagne Aurès, cette montagne aux cailloux noirs où on les avait retrouvés, tous les six, six petits corps d'enfants égorgés.
Après, il y avait eu les cris, les pleurs, la rage impuissante, les hommes en burnous raflés dans les douars et les exécutions sommaires.
Il y avait eu la déclaration d'Indépendance, l'obligation de départ, la ville qui s'éloignait dans la poussière et les larmes, le retour en France.
Il y avait eu une nouvelle vie menée sans comprendre pour tous ces petits pieds-noirs immigrés malgré eux qui devaient lutter contre la réticence, l'hostilité et la suspicion.
Et pour lui, le narrateur, il y avait eu la culpabilité, le remords de ne pas être parti ce jour-là avec ses camarades, le chagrin lourd de regrets, le sentiment d'avoir failli et la honte d'être l'unique rescapé du drame de son enfance.

Il était temps que l'auteur de « Quartier d'hiver » (Prix Médicis 1990) ou de « Montechristi » dépose ce lourd fardeau qui n'a jamais cessé de peser sur son existence pendant toutes ces années.
Le récit de l'évènement dramatique dont il a été le témoin, enfant, pourrait enfin faire office de baume cicatrisant sur une plaie toujours à vif malgré le temps passé.

Comme un alpiniste, Jean-Noël Pancrazi grimpe à l'assaut de la mémoire, du mal intérieur, de la culpabilité, pour expurger cette conscience douloureuse, mise à mal par ce sentiment attristant que ressentent souvent les rescapés d'une tragédie, la honte d'être encore en vie quand les autres sont morts.
Son écriture est comme un écho à ce passé heurté, pleine de brisures, de cassures et de dénivelés le long de phrases sinueuses, morcelées par la ponctuation (tirets, virgules, points virgules), étirées comme un chemin de croix, belles, saisissantes, superbes de profondeur et de gravité.
Une narration qui ressemble à une escalade, encordée par des phrases escarpées, longues et prégnantes.
Montée dangereuse de la montagne Aurès avec ses virages et ses abîmes, progression instable des dunes de sable dans l'immensité du désert, retour mémoriel au sol originel, à la terre aimée et à jamais perdue, que l'auteur décrit avec cette fibre particulière des êtres de l'exil, une nostalgie dépourvue de rancoeur, une affliction profondément émouvante qui nimbe tout le texte dans une varappe des émotions où s'entremêlent la beauté des paysages et la violence des événements.

« le petit survivant est coupable. Il ne dort plus, il écoute, la nuit, la rumeur des rafles. Et il croit qu'on le hait » dit Jean-Noël Pancrazi au détour de pages éminemment bouleversantes.
Espérons que ce retour dans le passé lui aura permis de trouver l'apaisement du coeur, tout au moins une forme de libération par le pouvoir de l'écrit.
Puissant, fort et âpre, un texte qui roule longtemps dans les coeurs comme les éboulis sur les parois abruptes des montagnes.
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