Citations sur L'aimante (10)
J'ai toujours privilégié les oublis nécessaires,
les mémoires à ne pas entretenir.
Pour survivre.
Tu n'es jamais là où je t'attends, tu me prends toujours par surprise. En descendant les escaliers de l'IRCAM, pour aller écouter un concert de musique contemporaine, je t'ai deviné ce soir-là à mes côtés, de brefs instants. À la demande de Laurent Bayle, alors directeur de la prestigieuse institution de recherche et de création musicale fondée par Pierre Boulez en 1974, tu avais créé là-bas le département design sonore, y avais travaillé quelques années, en face du Centre Pompidou. Et je te sentais là, encore.
Assis sur ton siège, au piano, tu murmurais dans un sourire que tu voulais saluer mon arrivée. Tu m'avais tant attendue. C'était si étrange de t'entendre prononcer ces mots-là. Bienvenue, ma chérie, bienvenue dans ta maison près de ton homme qui t'aime, qui t'espère depuis si longtemps... » Tes phrases me bouleversaient, elles me suffoquaient chaque soir, elles me faisaient presque peur. Je n'en revenais toujours pas de t'entendre les dire. Malgré nos vingt années à deux, malgré notre mariage et nos deux fils.
À la direction de la rédaction de Télérama, j'avais peu à peu installé la mienne et je tâchais de développer toujours plus la dimension culturelle du journal, ses exigences en matière d'idées comme de réflexions sur la société. Examiner le monde au prisme des artistes et des intellectuels: telle était la recette bizarre, mais originale, et réussie, de Télérama depuis des décennies. Il ne fallait surtout pas la trahir, c'était sa force d'hebdomadaire hybride.
Tu parvenais à tout concilier. Jusqu'à soixante-quatorze ans, tu as continué tes compositions musicales pour les musées, les châteaux, les jardins comme les livres. Ah! les délicieuses mélodies pour enfants que tu avais composées pour la collection Drôles de petites bètes d'Antoon Krings: Mireille l'abeille, Simon petit bourdon, Loulou le pou, Belle la coccinelle et tant d'autres.
Nous aimions trop l’éphémère pour fixer l’instant.
En 2005, Bruno Patino, alors patron du journal, me nommait quant à moi directrice de la rédaction de Télérama, mon rêve depuis toujours. J'y installai une nouvelle équipe de direction, impulsai le site numérique, montai une radio, développai la vidéo, défendis ambi- tieusement un Télérama global
Je suis une solitaire, une sauvage qui ne prise guère les mondanités, les cocktails, les fêtes, les vernissages ou autres dîners en ville. Qui ne se réjouit que d'aller au théâtre, à des concerts, de lire ou de voir une exposition. Je n'ai jamais souhaité que défendre, envers et contre tout, une certaine idée de Télérama, cet exigeant, cet essentiel passeur d'arts et de pensées. Que transmettre intégralement ce trésor que j'avais reçu de mes prédécesseurs, en tentant de l'enrichir encore. Seul compte le magazine, pas moi. Le servir et non m’en servir.
Assis sur ton siège, au piano, tu murmurais dans un sourire que tu voulais saluer mon arrivée. Tu m'avais tant attendue. C'était si étrange de t'entendre prononcer ces mots-là. « Bienvenue, ma chérie, bienvenue dans ta maison près de ton homme qui t'aime, qui t'espère depuis si longtemps... « Tes phrases me bouleversaient, elles me suffoquaient chaque soir, elles me faisaient presque peur. Je n'en revenais toujours pas de t'entendre les dire. Malgré nos vingt années à deux, malgré notre mariage et nos deux fils.
Tu haïssais la médiocrité. Tu préférais réver et inventer. Beaucoup, après toi, se sont inspirés de tes idées de design sonore, de spatialisation des sons, en oubliant parfois que tu en étais l'initiateur. Tu t'en moquais. Tu disais que les idées appartiennent à tout le monde. Tu nous as tou jours tirés vers le haut, Paul, Luc et moi.