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Critique de SophieLesBasBleus


Au début (c'est-à-dire les trente premières pages), je me suis dit que ça allait être compliqué de se concentrer sur une telle histoire post-apocalyptique avec tant de personnages aux noms démesurés.
Au début, je me suis dit que ce moment de pandémie, de frayeur et de confinement n'était peut-être pas le meilleur pour découvrir un roman qui évoque épidémies, guerres, catastrophes, bandes d'enfants féroces et survie dans un monde impénétrable.

Mais ça c'était au début (c'est-à-dire les trente premières pages) !

Après... ce fut - comment vous dire ? - l'impatience exacerbée de poursuivre ; les émotions extrêmes et contradictoires qui se bousculent au portillon du coeur et de l'esprit ; la dégustation d'une langue inouïe, d'une écriture-monde ; le désir de tourner les pages, entremêlé de la volonté de ralentir le rythme pour s'immerger encore davantage dans le récit ; la familiarité avec ces personnages fabuleux ; l'Odyssée dans cette forêt furieusement foisonnante. Après, ce fut l'envoûtement d'un voyage bouleversant sens-dessus-dessous, 632 pages en apnée, à ne plus savoir sortir de cette forêt. Dire que j'ai aimé, est une litote qui ne me satisfait guère. Trop réducteur. Trop sommaire. C'est un roman qui a fait disparaître tout ce qui n'était pas lui, qui m'a emportée et que j'emporte désormais dans mon ADN de lectrice.

La Colonie est une institution qui accueille des enfants de tous âges, fracassés dans leur être et dans leur mémoire par tout ce qu'ils ont vécus. Amputés, estropiés, irradiés, brûlés, abandonnés, orphelins, ils sont, le jour, vaguement surveillés par des adultes éducateurs, mais retrouvent leur liberté dès qu'arrive la nuit. Et ces enfants qui ont survécu à toutes les horreurs de la guerre et des catastrophes naturelles n'ont de cesse, alors, que de se battre entre eux. Comme pour garder un semblant de contrôle sur leur vie, ils instaurent des règles et des codes bien plus rudes que ceux établis par leurs surveillants.
Un peu plus loin se dresse la Forêt où les enfants n'osent pas s'aventurer car elle abrite toutes les créatures des pires cauchemars. Territoire interdit car innommé. Pourtant des bergers s'y cachent et luttent violemment contre les maîtres des forges et les charbonniers.
Au fond du val, un village où cohabitent christian, muslim, supermuslim, paysans, commerçants et soldats.

Cette géographie resserrée explose de violences, de luttes sociales, religieuses, politiques, amoureuses, que l'on apprend au fil de chapitres très brefs qui sont autant d'épisodes dans la vie des personnages : les péripéties de la lutte entre le berger Darnert et le maître des forges Kylian PetitCoeurCouronné ; l'opposition entre Elias Debillet, le maire, et Kylian PetitCoeurCouronné ; l'amour vorace et égoïste d'Esclarelys pour Darnert ; la lutte de pouvoir à la Colonie entre La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule et Tout-Le-Fait-Rire, entre les strongues et les bitches. Et lorsque les vrais supermuslim décident de faire du village une base pour leur futur califat, personne ne sait leur résister. La population se soumet aux lois de la charia ou meurt.

Que deviendront les enfants de la Colonie dans ce monde où l'intégrisme religieux exige des martyrs ? Est-ce que cette Forêt que La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule a fini par apprivoiser leur offrira abri et survie ? Mais survie dans quel monde ?

Il ne s'agit ici que d'un minuscule aperçu de tout ce qui se joue dans le roman de Sylvain Pattieu, comme si je le regardais à travers le petit bout de la lorgnette !
Mais comment rendre compte d'une histoire qui en entrelace mille autres, légendes, contes, mythes, actualité brûlante ? Par quels moyens donner une idée de ces innombrables ruisseaux narratifs qui dévalent vers l'océan, charriés par une écriture qui elle-même conjugue tous les temps et les mouvements pour aboutir à cette symphonie baroque qui m'a transportée ?
Ce roman est à l'image de son titre : une Forêt-Furieuse-Ténébreuse-Lumineuse, qui donne vie à un univers, dans lequel on garde des repères qui ne sont plus tout-à-fait les nôtres mais un peu quand même. Les passions humaines sont brassées-embrassées par ce que vit chaque enfant. le temps n'a plus la même valeur, il n'a plus de valeur du tout, seuls les évènements, individuels et collectifs, le ponctuent.

La langue rythme le récit d'éclats de joie, de tendresse, de cruauté, de sensualité, et de ces épousailles hétéroclites jaillit une poésie inouïe, une musique ensorceleuse où les scansions du rap se mêlent de mélopées incantatoires. de toutes ces histoires fracassées, éparpillées en miettes de souvenirs, Sylvain Pattieu réussit à faire un tout homogène, cohérent, un monde qui est comme un reflet (à peine) déformé du nôtre. de toutes les disgrâces, il parvient à tirer de la beauté. Et c'est prodigieux !
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