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Citations sur Forêt-Furieuse (36)

Ici ça se passe pas bulle pour les nouveaux, elle lui dit Destiny-Bienaimée en essuyant le sang de son nez, et d’habitude La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule parle et a toujours son mot à dire, mais là elle se tait, elle roule un peu des yeux, incrédule.
Sur le mur l’huile coule doucement, ça fait une traînée grasse, les haricots rouges sont restés compacts et collés un moment, maintenant ils se désagrègent, ils tombent à l’unité ou par petits paquets, et ça pourrait faire réfléchir sur la vie, la destinée, sur comme quoi les plus durs finissent par partir en morceaux, sur qu’y a rien de certain ici-bas, mais ça tout le monde le sait à la Colonie, pas besoin de faire un dessin, de toute façon personne ne regarde, ce qui les intéresse c’est un autre amas, Tout-Le-Fait-Rire et Jambe-Fer se serrent fort et on aurait dit un câlin si c’était pas une bagarre, ils sont mains dans les mains, ils poussent et ils tirent. Jambe-Fer essaye de le faucher avec sa guibolle en métal, faut bien que ça serve, elle fait des cercles avec et lui des petites esquives, alors elle lance de plus en plus fort, si elle le touche il tombe et elle le finit par terre, mais ça la déséquilibre. Tout-Le-Fait-Rire en profite, il libère soudainement une main et il cogne, marteau-pilon tac-tac-tac dans la gueule.
Ca a commencé comme d’habitude, une histoire de ration et de rab, une assiette qui vole, encore une bitche contre un strongue. Tout-Le-Fait-Rire a un pied sur Jambe-Fer maintenant, elle ne bouge plus, elle n’est plus dangereuse alors il lève les bras au-dessus de sa tête et il serre fort ses mains pour qu’on voie ses muscles, il tourne bien autour de son pied qui lui écrase la tête et il les regarde tous dans la pièce. Eh ouais ça se passe comme ça, il dit, faut pas tester les strongues, fuck off, fuck off les bitches, dans ta schneck. Il célèbre sa victoire façon mitraillette dans le ciel.
Présentement, La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule est cachée derrière une table renversée, histoire de ne pas se prendre un coup perdu dans le nez comme Destiny-Bienaimée, elle ne dit toujours rien mais elle sait et elle observe. Elle sait une chose, qu’elle n’acceptera pas la loi des strongues, la loi de Tout-Le-Fait-Rire. Elle en observe plusieurs autres. Les strongues sont des garçons, des grands et quelques filles. Les bitches sont des filles et des plus jeunes, ou gringalets. Jambe-Fer est leur cheffe, d’un gabarit digne d’un strongue, avec un avantage dans les bagarres, cette patte métallique, un désavantage, une certaine lourdeur. Quand elle a commencé à se battre avec Tout-Le-Fait-Rire, même quand il vacillé sous un de ses coups, aucune bitche n’est intervenue autrement que par des oh et des ah, personne ne lui a prêté main-forte. Ce combat, pourtant, semblait prévisible, inévitable, irrémédiablement inscrit dans la vie de la Colonie, dans l’affrontement de ses deux groupes rivaux, et Tout-Le-Fait-Rire est grand et costaud pour son âge, mais pas invincible.
Le cours des pensées de La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule s’interrompt car Tout-Le-Fait-Rire saute à pieds joints sur Jambe-Fer et ce faisant semble donner signal, les strongues partout dans la salle se jettent sur les bitches, La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule manifestement, et conformément à ses observations, est classée parmi les secondes, et on l’attrape par ses fines tresses, on la frappe, elle se défend, des tabourets, des assiettes, des restes de nourriture, volent dans toute la pièce, elle-même saisit un verre cassé et le plante, par-derrière, dans la plus proche des têtes strongues, l’autre se retourne, éberlué de rouge, et prend pareil côté face.
Après quoi les adultes interviennent, crient et séparent, ils ont fait vite, ça n’a duré que quelques minutes en tout, puis ils soignent, il y a des bleus, des coupures, des entorses, un bras cassé, quelques dents branlantes, une vingtaine de points de suture cousus à vif, dont dix pour le strongue décousu par La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule. C’est lui, après Jambe-Fer, qui est le plus amoché.
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L’Ancêtre est plus âgée que les autres bitches, au moins quinze ou seize ans, elle n’a pas de bras ni de jambes, mais elle a ses yeux et sa bouche pour raconter. Elle dit, il y a toujours eu des groupes à la Colonie, mais c’était plus équilibré. Il y avait pas les strongues et les bitches, il y avait pas les filles et les garçons. Il y avait des bagarres et des querelles de chefs mais c’était pas dur comme ça.
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Les leçons ont lieu le matin, puis l’après-midi les enfants ont quartier libre. On les encourage à découvrir la forêt, ou bien à travailler au potager. Certains se rendent jusqu’au village. Ils traversent le potager, dépassent les serres, les champs d’éoliennes, les champs cultivés, puis ils y arrivent et trouvent à s’occuper. Pas très loin de la Colonie sur un talus qui surplombe ils regardent les trains passer, ils sont de toutes les formes, de toutes les couleurs, ils sont proches mais ils roulent et ils ne s’arrêtent jamais.
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Mohamed-Ali se déploie, il n’est pas aussi minus qu’il en a l’air, il paraît plus grand dans la clarté de la lune et des lampes électriques, ses longs bras maigres s’agitent et le démultiplient, l’ombre de sa touffe de cheveux remplit tout le plafond, il raconte et il scande.

Une histoire qu’il a vue autrefois, une histoire d’amour vrai, du temps qu’il était guetteur et qu’il s’ennuyait à scruter le paysage, à regarder au-delà du ter-ter, rien à foutre le taga-taga, alors ce jour-là il a vu, sur une colline voisine, une petite locomotive, des wagons tendrement attachés derrière elle, son fidèle tender en premier, la fosse pleine à ras bord du charbon le plus noir, le plus luisant. Mohamed-Ali secoue la tête et il danse lentement, et les bitches réunies autour de lui dodelinent de la tête au même rythme, celle de Jambe-Fer est trop douloureuse, elle bouge les doigts de son pied valide de sous la couverture, Mohamed-Ali a une voix douce et il continue, la petite locomotive, la colline. Et puis les wagons se détachent, sauf le tender, ils s’ébrouent et ils basculent paisiblement, ils descendent le flanc de la colline à leur rythme
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Ils sont trois, ventripotents, l’air pas si effrayés, habillés simplement, presque à la mode vrai supermuslim. Une ébauche de barbe sur leurs joues. L’émir a convoqué les maîtres des forges, ceux qui restent, sauf Kylian PetitCœurCouronné qui ne vaut plus rien.
Il leur offre des fruits et du thé, il va droit au sujet, ensuite. Il parle doucement pour les forcer à tendre l’oreille, à se pencher un peu. Il leur dit, je sais que vous gardez contact avec l’outre-vallée, avec l’outre-montagne. Les trois commencent à protester, il les arrête. Je m’en fous, ce qui compte c’est l’application de la Loi de Dieu dans le califat, dans ce village. Laissez-moi m’occuper des âmes et je vous laisse vous occuper du commerce. moins vingt pour cent pour l’œuvre de Dieu. Je vous laisse la mine, je vous donne des esclaves, vendez le charbon, avec j’achèterai des armes, des véhicules. Vendez le charbon à qui vous voulez, aux kouffir, aux christian, au gouvernement provisoire, peu m’importe, simplement rapportez-moi l’argent. Faites vos affaires que je fasse les miennes. Ne me trahissez pas ou vous mourrez.
Les maîtres des forges sont rassurés, ils se voyaient déjà dépossédés de leurs maisons, de leurs richesses, ils se disent qu’ils ont eu raison de rester.
L’un des trois demande pour le train, pour la voie ferrée, il dit ça serait bien de la réparer, ça serait bien de commercer de nouveau avec le bourg, avec les villes, avec la capitale.
L’émir lui fait un grand sourire, il lui masse l’épaule. Il dit, ça sera fait, mon frère, quand nous aurons étendu le califat au-delà de cette vallée, alors nous restaurerons le chemin de fer, alors nous pourrons commercer avec les villes. Nous ne sommes qu’un petit bout d’un grand œuvre, de l’œuvre de Dieu.
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À la Colonie les enfants n’apprennent pas que des savoirs théoriques, il y a aussi des connaissances pratiques. Il faut savoir ramper dans les abris en cas de bombardement. Connaître les rudiments de la recherche de mines dans les champs ou sur les chemins. Enfin surtout ils doivent savoir trouver du carburant, en fabriquer si besoin. La Colonie a un alambic à essence, une machine grise et métallique, des tuyaux qui font virages, cercles et lignes droites, dans une grande puanteur. Il est placé loin du bâtiment principal, il se nourrit de betteraves et d’huile de divers végétaux, tournesol, colza, romarin. On place les légumes ou le liquide dans un large embout, ils suivent ensuite leur chemin de tuyaux, il y a un feu qu’on alimente, un vacarme désagréable, des projections, mais il en sort un carburant grossier. Il encrasse les moteurs de sucs et goudrons, mais il fait rouler, il n’explose pas, il y en a des bidons, prêts à être utilisés ou échangés. Les enfants les remplissent avec un entonnoir.
Ils ne sont pas dupes. La rumeur prétend que des éducateurs utilisent les bidons pour leur marché noir. Ils les revendent, ou ils les échangent, pour leur profit. Grand bien leur fasse. Les enfants, eux, ont le plaisir de sécréter du combustible, de voir jaillir l’essence et de la capturer dans leurs bidons rouges.
Quand ils ont fini de travailler à l’alambic, ils ont la peau grasse d’huile et de carburant. Parfois ça les irrite, ça leur fait des plaies ou des boutons. Marmite les plaint, il considère les projections d’huile de sa cuisine moins dangereuses. Il dit quand même, ça vous servira, de savoir vous débrouiller pour le carburant. La mobilité, en ce monde, il leur dit, savoir faire son carburant, savoir en reconnaître du bon, c’est important. Il prend l’air important en disant ça, l’air de celui qui a vécu. Ça les fait rire les enfants, parce qu’il leur dut ça près de l’alambic, et il fait justement ce qu’il faut surtout éviter, il allume sa cigarette, il tire fort dessus.
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La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule est assise, elle regarde, un sourire sur son visage mais ses yeux sont ailleurs, ils voient au-delà de la fête, au-delà des enfants qui dansent, en un lieu imaginaire, où se déploient de multiples combinaisons de pensées, des possibilités diverses, des bifurcations, des plans. Elle pèse l’inévitable et le contingent, la volonté possible, dans sa tête se croisent des satellites, des comètes, des vaisseaux épiques, des soleils immuables. Il y a aussi des bouts de passé, les enfants de la Colonie en ont tous, de ces bouts, ils les laissent pantelants la journée, les réveillent de cauchemars la nuit. La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule assemble et remue ses souvenirs, elle construit par-dessus cet entrelacs, cette architecture de bric et de broc est née du désordre des adultes, elle devient, redessinée par sa rage et son envie, un solide fondement. Le tout est en permanence mouvant. Jamais de repos.
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Quand plus personne ne bouge ça n’est plus très drôle, les autres arrêtent et s’en vont.
La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule se relève la première, passé le souffle coupé dans le ventre ça va bien. Elle donne la main aux autres. Brille a un verre cassé, le fauteuil de Trogne n’est pas abîmé. Chien fait son air de chien battu, c’est approprié. Mohamed-Ali a disparu.
Ils reviennent vers la Colonie.
J’espère c’est La-Femme-Quand-Elle-Parle-Elle-a-Les-Yeux-Qui-Brillent, elle va nous soigner, elle dit Destiny-Bienaimée, alors ils sourient tous. Avant d’arriver ils relèvent leurs t-shirts pour comparer leurs marques. Sur La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule et Destiny-Bienaimée les bleus ne se voient pas trop, c’est parce qu’on est noires, elles disent en rigolant. Brille en revanche est marbré de bleu et de vert. Trogne gonfle du visage mais ça ne lui fait pas une tête pire que d’habitude. C’est l’avantage d’être moche quand on se fait taper.
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Parfois les strongues décident des expéditions punitives et il faut se cacher. Ils se peignent le visage en bleu et ils courent, ils traquent, ils ululent quand ils trouvent une bitche et tabassent.

Telles sont les affaires de jour mais le soir chacun rentre au bercail.
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Nul ne sait plus exactement le projet initial de la Colonie, mais il est gorgé d’arbres, de plantes, d’air, de soleil. Des architectes, des pédagogues et des médecins ont réfléchi et travaillé de concert. Ils ont déterminé le lieu, à la lisière arrondie du bois. On dirait une vaste clairière bordée de verdure en son nord seulement. Le village le plus proche semble lointain, inaccessible à l’œil, même si la route y conduit en peu de temps.
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