AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de tamara29


''Avant que j'oublie'' d'Anne Pauly est un premier roman dans lequel je me suis plongée presqu'en apnée, entre mélancolie, tristesse et sourire.
Dans ce récit, une jeune femme, Anne, se livre sur sa famille et plus exactement sur son père. Elle écrit sur son père, pour son père alors qu'il vient de mourir d'un cancer. Elle nous parle de sa relation qu'elle a entretenu avec lui, de l'homme qu'il était à ses yeux : personnage ambivalent, alcoolique, violent avec sa femme, dur avec ses enfants, solitaire et, en même temps, curieux, aimant la nature, le silence, les lectures sur la spiritualité, les haïkus, capable d'être tendre et inquiet pour sa fille Anne, après la mort de leur mère, alors que la relation avec Anne est devenue plus douce.

C'est un roman, fleurtant avec l'autobiographie, sur les enfants adultes et leur relation avec leurs parents, partagés entre différents sentiments et désirs : à la fois culpabilité à ne pas s'occuper assez de leurs ainés, à ne pas aller assez souvent les voir, alors que ces derniers se font vieux, malades, fragiles ; ces responsabilités parfois difficiles à porter, ne serait-ce qu'à réaliser du fait de l'amertume du passé, et à la fois ce besoin impérieux d'être libres, de s'offrir des moments pour soi-même, loin de la famille, l'esprit paisible, et, la nécessité de se construire, de grandir à peu près droits et pas trop cabossés et de vivre.
C'est un roman intime, sur les souvenirs, ceux qui font grincer les dents, serrer les poings, ceux qui coupent un peu le souffle, qui amènent l'arme à l'oeil et le blues à l'âme.
Je l'ai lu presque d'une traite, jusqu'à 3 heures du matin, incapable de le lâcher. J'ai tourné les pages comme au rythme de son écriture. Cela nous raconte le quotidien et les (res)sentiments ; et on peut alors le lire avec une certaine lenteur. Mais, du fait même de sa structure, avec ces paragraphes denses, sans partie bien distincte, nous avançons dans la lecture de manière fluide, sans réelle pause, curieux de tous ces moments introspectifs. C'est comme tourner les pages d'un herbier de souvenirs et d'anecdotes familiaux, avec comme ligne conductrice la mort de son père, ponctués de tous ces petits flashbacks sur ces moments passés avec lui. Par ces longs paragraphes sans chapitres, ce roman ressemble à une longue lettre écrite à son père.
La narratrice se livre presque sans concession, en essayant de ne pas trop se mentir à soi-même, de ne pas trop édulcorer les souvenirs et les traits de caractère de chacun.

C'e roman m'a tellement parlé, tellement fait remonter le fil de mes propres souvenirs, de ma propre famille pas facile, de mes propres cicatrices, m'a tant rappelée ma propre relation avec mes parents que j'ai souvent eu l'impression de le lire comme dans un miroir sur mon passé. Et j'ai mêlé les souvenirs d'Anne avec les miens.

Anne, ma soeur Anne, parfois j'aurais voulu te dire que toutes les familles ont leurs épreuves à surmonter, à supporter, dont il faut s'échapper, au moins un peu, parfois plus longtemps. Et je voulais te rassurer et te dire combien je comprenais toutes tes émotions parfois si contradictoires. Anne, ma soeur, cette confidente, on aurait tellement envie de te prendre dans les bras, pour essayer d'apaiser un peu le chagrin que tu ressens à l'absence de ton père. Anne, en refermant ce roman, je fredonnai la chanson « Mon vieux » en pensant au tien, en pensant au mien, chanson qui me donne toujours des trémolos dans la voix
Parce que, si tu savais comme cela m'a rassuré aussi de lire tes propres interrogations, agacements, douleurs, en me disant que je n'étais pas la seule à vivre cette « famille je t'aime, famille je te hais » ; à avoir essayé de faire table rase sur le passé, parce que ceux sont quand même nos parents, avec leurs propres qualités et défauts, comme tout humain et pas un être qu'on idolâtre au temps de l'innocence des yeux de petit enfant, l'innocence avant que les yeux s'ouvrent.
Avec les années, il peut arriver que des qualités apparaissent chez le parent, après avoir connu cet amas de défauts, qui aurait pu nous faire prendre nos jambes à notre cou de manière définitive, rédhibitoire, salvatrice. Mais on était restés, malgré tout, même après une longue pause pour tenter de se rafistoler un peu. On était restés même entre guillemets, même de loin, même à des centaines de kilomètres de là, pour avoir un peu d'air. On a l'impression d'être comme des funambules sur un fil fragile, un lien ténu et qu'à la moindre anicroche, au moindre léger coup de vent, le fil pourrait se casser, pour toujours, et nous avec.
Mais, avec les années, les décennies, les angles s'émoussent parfois par miracle et s'attendrissent, heureusement et nous rassurent un peu de ne pas avoir coupé le lien définitivement. Parfois il faut se rappeler que chacun fait ce qu'il peut, que leur propre enfance a sûrement été plus compliquée que la nôtre et essayer d'oublier de notre enfance les images les plus violentes. Et il arrive alors qu'il y ait ces petits moments de tendresse, de lumière, de regards un peu complices, et qui valent le coût, malgré le prix parfois si exorbitant et douloureux qu'on a dû payer pour cela.

Par ce regard lucide sur la famille et la vie, par cette clairvoyance sur les défauts de chacun, cet humour un peu piquant et moqueur sur l'attitude des autres et d'elle-même, avec cette sensibilité, ces émotions passant du sombre à la lumière, et parce que cela parle de famille, de l'intime, ce roman se lit avec intenses émotions.
Le regard d'Anne Pauly sur la (sa) famille est intelligent, d'une grande finesse, drôle et émouvant. C'est un beau roman, sur la complexité des sentiments, sur la complexité des relations familiales, de ce sang qui coule dans nos veines, et finalement sur l'amour qu'on porte à nos parents, notre famille. Un roman de qualités qui mérite le prix Livre Inter reçu en 2020.
Commenter  J’apprécie          333



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}