« Tenez, prenez-en autant que vous voulez, mes chéris, mangez, mangez, c’est bon pour la santé ! » Cet élan est le plus féminin, le plus sincère, le plus russe qui soit : donner ce qu’on a volé, mais sans regret, comme on donne ce qui est à soi – et alors le butin devient propriété légitime.
Quand on marche, surtout la nuit, dans les méandres des couloirs de l'hôpital, on dirait qu'on est à l'intérieur d'un cerveau gigantesque - un cerveau mort.
Mais cette fourmi, elle est des nôtres: elle est comme tout le monde, elle galère.
Une petite fille dont la mère vient d'être opérée demande : "Ma maman, elle va vivre du début à la fin ?"
Tout fout le camp, tout périclite - mais le vigile s'est installé partout.
On avait déclaré la liberté comme on déclare une faillite - mais les zones protégées se multipliaient à chaque pas. Les jardins d'enfants. Les hôpitaux. Les écoles. Les magasins. Les endroits les plus paisibles et les moins militaires. Seules les églises n'avaient pas encore leur système de gardiennage mais le temps viendrait bientot où, même là, il y aurait des portiques pour détecter les métaux jusque dans les poches - et des vigiles.
Tous vivent au qotidien selon cet ordre qui dépasse l'entendement, et ils survivent, chacun surmontant ses propres obstacles, remportant on ne sait quelles victoires personnelles, se renforçant en tant qu'individu, c'est-à-dire développant en soi, comme un muscle, l'être humain - cette créature qui doit, par tous les moyens pensables et impensables que lui a donnés la nature, trouver une issue aux situations qui seraient désespérées pour toute autre créature vivante ou non, quand, disons, aucun animal ne résisterait et mourrait, une pierre se fendrait, l'eau, le feu, la terre et le reste seraient anéantis.
Mais enfin, que peuvent faire deux frères, sinon partager ?