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Critique de jeff2u12


Ce livre regroupe 3 romans parus avec des intervalles de 3 et 5 ans. Je les ai donc lu avec un délai minimum de quelques semaines plutot que d'une traite, vu qu'il ne me semble pas du tout y avoir d'intrigue "à suivre" entre ces 3 romans.

Le premier, "Conte militaire". Excellent. J'y retrouve le sens du grotesque et l'absurdité de la vie noyée dans la vodka, telle que seuls peuvent nous le transmettre les auteurs russes. Les tribulations d'un capitaine qui essaye de nourrir sa compagnie en cultivant des pommes de terre, malheureusement sans l'autorisation de ses supérieurs hiérarchiques, ce qui conduira les dites pdt au compost pendant que tout le monde crève de faim, m'ont parues typiquement horriblement réelles ou grotesquement déprimantes. Une bonne dose d'humour noir pour faire passer la veulerie, la mauvaise foi et un sens aigu de la sclérose bureaucratique qui n'a pas changé depuis le XIXème siècle.
Réjouissant et délirant, ce premier roman de l'auteur lui a valu d'emblée un accessit au Booker Prize russe en 1994, ce qui est largement mérité.
5* pour "Conte militaire"

Second roman de la trilogie regroupée sous le titre Récits des derniers jours, L'affaire Matiouchine publié en 1997, 3 ans après Conte militaire, reste fortement inspiré de l'expérience de service militaire de l'auteur au camp kazakh de Karanganda. Par contre, le ton et le traitement n'a rien à voir : ici, pas d'humour noir, pas de conte de fées en Absurdistan pour mettre en valeur la bêtise et la bureaucratie militaire et soviétique. Ici, le récit est très noir et colle au plus près, sans recul et sans second degré, de ce qu'a dû ressentir et vivre Oleg Pavlov et qui l'a conduit en hôpital psychiatrique.
L'enfance de Matiouchine, très dure, entre son père et son frère, haine familiale et violences verbales et physiques. Puis les débuts dans l'armée dans une province d'Ouzbekistan, au milieu des « sauvages ». Enfin, l'affectation au camp de Karangada. Dans tous les cas, une ambiance de brutes épaisses, d'alcoolisme et de « survie des plus aptes » et une menace constante pour sa santé mentale et sa survie.
C'est très âpre, sans pathos, entre autobiographie romancée et reportage de l'intérieur. On sent bien à quel point le contexte géographique joue dans la sensation à la fois d'étouffement et d'absence de limites : le vent, les fournaises ouzbeks, la steppe sans fin, tout contribue au déracinement mais pas vraiment à l'exotisme d'une agence de voyages. A Karangada, camp de travail pour délinquants de droit commun, c'est la survie pour tous, militaires comme zeks. le manque de nourriture, les maladies, le manque de sommeil, un épuisement généralisé qui finit par des explosions de violences, on finit, comme Matiouchine, par ne plus songer qu'à une chose : faire que ça s'arrête et qu'on puisse avoir ne serait-ce qu'une semaine de perm – le même leitmotiv que dans La Peur de Chevalier, bombardements en moins.
Même si, par moment, quelques longueurs et redites enfoncent peut-être un peu trop le clou, c'est un très bon bouquin qui confirme le grand bien que j'ai pensé de Conte militaire.
5* pour Matiouchine

Troisième roman de la trilogie : le Banquet du neuvième jour
Dans ce roman, qui a obtenu le prix Booker Russe en 2002, on suit les derniers périples d'un appelé de l'armée russe au camp de Karaganda. le style est en grande partie descriptif et sans affect, à la limite d'un compte rendu d'expérience au pays des fous – puisque les faits relatés sont plutôt ubuesques. Après un bref aller-retour dans un hôpital où une sorte de chirurgien-dentiste pas très net s'engage à faire porter une dent en métal (qui lui servira toute sa vie !) à Aliocha, mais ne fait finalement que la partie arrachage de la dent concernée, il est question d'assurer la récupération et l'acheminement à sa famille dans un cercueil et dans une tenue appropriée d'un soldat mort par balle (où ça et comment, on n'en saura rien, le suicide est envisagé).
Les considérations existentielles sur la mort sont essentiellement organisationnelles : comment trouver un uniforme à sa taille, des bottes présentables et un cercueil dans un délai qui permette de prendre le train pour Moscou qu'on a prévu de prendre. le menuisier qui s'occupe de ce cercueil – à base de planches récupérées ici ou là – est un grand philosophe de la vie dont l'assistant ne bouge pas du fond de l'atelier en insultant quiconque vient lui parler. Finalement, au moment où on a l'impression que tout est réglé, le père du soldat décédé – dont on ne sait pas trop ce qu'il fait là – propose une sorte de banquet-beuverie funèbre qui finira dans une ambiance (qu'on peut deviner) où certains passent leur temps à hurler « Je vais tout cassser » pendant que d'autres essayent de tripoter une vieille ivrognesse qui pleure à tout va…
C'est magnifique, 200% russe, et j'ai adoré.
L'apothéose de ce recueil.
5* sans hésiter pour ce roman et pour la trilogie.
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