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Critique de Matatoune


Premier roman de Raosy Pellerin, Bibiche est le récit du parcours d'une réfugiée de République Démocratique du Congo à partir de son arrivée à Paris. de l'errance de la rue jusqu'aux papiers officiels, Bibiche dresse, par son récit, à la fois les méandres d'une administration opaque qui demande toujours plus de détails intimes pour accorder son sésame officiel et aussi un portrait de femme, volontaire et téméraire, qui chemine pour retrouver sa dignité.

Bibiche Nyandu Bilonda, on croirait à un nom d'emprunt ! Mais, c'est Anita Justine Makwanga, son nom d'emprunt, celui que les passeurs lui ont donné avec les faux papiers.

Au fil des pages, le passé de Bibiche, sa vie d'avant, se révèle, divers, varié, loin de nos représentations habituelles. Dans son pays d'origine, Bibiche est instruite ayant acquis une certaine liberté et autonomie depuis le départ de son mari du domicile conjugal et un statut social apprécié pour être à l'écoute des personnes de sa communauté. Ce n'est pas le rêve de la société occidentale ou le désir d'argent pour sortir de la misère sa famille qui fait partir Bibiche de son pays, la RDC. Non, ce sont des traumatismes répétés de son intimité qui l'obligent à fuir son pays.

Raosy Pellerin décrit le parcours de conquérante de Bibiche. de l'OFPRA à sa demande de statut de réfugiée, Bibiche raconte les démarches, les doutes, la solitude et ses égarements dans les méandres administratifs. Certes, l'exploitation des passeurs est rappelée mais on y découvre aussi celle des avocats privés, de l'administration devenant harcelante au motif de protéger, etc.. Les deux cents euros laissés par la narratrice entachent notre mémoire d'occidentaux d'une honte indélébile !

Le récit Bibiche de Raosy Pellerin interroge aussi sur la difficulté de se construire une nouvelle vie lorsque celle-ci n'a pas été choisie. En plus des traumatismes et de la culpabilité subis, cette femme se doit de poursuivre son chemin. C'est cette renaissance que décrit Raosy Pellerin, un chemin semé de chagrin avec l'envie d'en finir au plus vite, mais aussi d'un espoir dompté au fil des jours. Madeleine et ses enfants, mais aussi la jeune Dinah et même la psychologue seront autant de béquilles lui permettant de progresser vers son renouveau. Bien sûr, il faut aussi noter Raoul et sa relation à la fois si intime tout à la fois pudique qui saura l'accompagner sans la brusquer.

Mais ce récit fait réfléchir aussi sur l'obligation à dire, pas se confier, non, d'expliquer pour convaincre de la nécessité de l'asile. Se mettre à nu. Sur l'intime vécu. Sur l'intime broyé. Sur l'intime en miettes. Sur l'intime source de folie.

Ce voyeurisme de l'administration est ici décrit de façon froide, distancée. A celui qui saura raconter pour émouvoir, aura plus de chance de convaincre. Aucun critère factuel pour la protection obtenue. Juste des émotions à susciter. Ici, Raosy Pellerin décrit une violence institutionnelle, connue, acceptée et même revendiquée pour trier les bons des « mauvais » réfugiés, ceux qui pourraient sans raison profiter d'un système si attractif ! Mais, est-ce qu'on quitte son pays, sa famille, son univers juste parce que les lumières d'un pays sont plus vives ?

Ici, l'administration agit avec ses repères culturels sans comprendre l'immense violence qu'elle inflige à ces femmes, ou ces hommes, obligés de dire ce qui, dans leur pays, restent cachés par pudeur et dignité culturelle. Même Bibiche ne posera jamais les mots dans ce texte si fort. Son corps et son esprit montrent son vécu, mais les actes ne seront jamais nommés sauf de façon détournée.

Bibiche a une voix feutrée, étouffée, censurée par sa propre mémoire. Même quand les cauchemars se feront plus pressants, racontés par de courts chapitres en italique, Raosy Pellerin s'interdit de plonger son lecteur dans le glauque, la violence des mots et respecte ainsi la pudeur des femmes de ce pays. Mais aussi, elle démontre qu'il n'est pas nécessaire de décrire pour transmettre un ressenti. Malgré la noirceur du vécu, les mots sont maniés avec poésie et respect.

Ce que ne rappelle pas Raosy Pellerin, mais qu'elle nous montre par ce récit singulier c'est que, en RDC, les abus sexuels frappent les femmes depuis plus vingt cinq ans dans les zones de guerre mais aussi dans les régions stables. Plus de 400 000 viols sont commis chaque année, une par minute. Des chiffres terribles que le récit de Bibiche corrobore.

Bibiche de Raosy Pellerin est un premier roman particulièrement réussi sur le cheminement d'une femme qui tente de se reconstruire après des traumatismes répétées sans l'appui de son entourage habituel. Car, s'ajoute à sa situation son parcours d'émigrée. Ravie d'avoir pu découvrir cette nouvelle écrivaine ! Sûr que Bibiche fera parler d'elle !
Lien : https://vagabondageautourdes..
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