AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dandine


Y. L. Peretz est un des plus grands ecrivains Yiddish de la fin du 19e siecle et du debut du 20e. Ce petit livre est le resultat d'une enquete qu'il mena dans de petites bourgades juives des environs de la ville de Zamosc, c.a.d. autour de l'actuelle frontiere entre la Pologne et l'Ukraine. Je suppose que les commanditeurs de l'enquete ne devaient pas en etre tres contents parce qu'a la place de chiffres et de donnees ethnologiques Peretz leur a delivre un opus litteraire, des nouvelles. Mais il se peut qu'apres reflexion ils aient ete assez satisfaits, parce que cette suite de nouvelles en dit plus long sur les shtetelekh (eh oui, les pluriels en yiddish c'est quelque chose), leurs habitants et leurs modes de vie et de pensee que beaucoup d'etudes pointues, qui souvent se piquent de secheresse pour plaire a la guilde des specialistes.


A chaque page on peut capter l'etonnement de Peretz. C'est un homme moderne, maitrisant une culture occidentale autant que la juive traditionnelle. Il est etonne par la claustration volontaire des habitants des shtetelekh, par leur misere et surtout leur fatalisme devant cette misere: “— Quelle est votre occupation professionnelle ? — Qui donc a une occupation ? — Mais que faites-vous pour vivre ? — Ah bon, c'est cela que vous vouliez dire ! Eh bien, je vis ! — Sans doute. Mais de quoi ? — du Maître du Monde, que Son Nom soit béni ! S'il y pourvoit, on a de quoi vivre. — Il ne vous lance tout de même pas la manne du haut du ciel ! — Justement si, il la lance ! Est-ce que je le sais moi, de quoi je vis ? […] Et, emporté par sa grandiloquence, il poursuit sur sa lancée : — de l'argent je n'en ai point, Dieu merci ! Ni moi ni aucun des Juifs que vous voyez ici. Aucun Juif n'en a, aucun ! Sauf, peut-être, les Daytshn [= juifs assimiles. Dandine] des grandes villes... Mais nous autres, nous n'avons pas d'argent ! Je ne sais pratiquer aucun métier. Mon grand-père ne cousait tout de même pas des bottes ! Aussi, si le Maître du Monde – béni soit Son Nom ! – le veut bien, je vis. Et c'est ainsi que je vis depuis une cinquantaine d'années déjà. Et s'il faut marier un enfant, eh bien... on célèbre les noces ! Quitte à danser dans la boue.”


Peretz est tres critique de ce qu'il voit, mais il ecrit avec une certaine empathie pour ces pauvres heres, une certaine tendresse, et quand il y met de l'ironie, elle est toujours discrete, jamais mordante, jamais blessante. Il va meme jusqu'a transcrire quelques uns de leurs contes tels qu'ils lui ont ete transmis. Parce qu'il les trouve charmants. Et parce qu'il est conscient qu'ils sont l'expression d'une culture emanant d'une forme de vie qui n'a pas d'avenir, que son manuscrit est un temoignage.


Le titre du livre (en yiddish) est “Tableaux d'un voyage en province". Les editeurs de la collection Terre Humaine l'ont tres heureusement change en “Les oublies du shtetl”. Car oublies, ils l'etaient peut-etre deja pour les juifs de Zamosc (d'ou venait Peretz), ceux des autres grandes villes de Pologne, et evidemment des juifs de l'Europe occidentale.
Cette edition francaise contient aussi de nombreuses etudes de specialistes de l'histoire et de la culture des juifs d'Europe de l'est. Elles Interesseront les lecteurs les plus curieux ou les plus studieux. Quant au texte de Peretz, il captivera, amusera et emouvra a mon avis tout lecteur. Il transcende le simple temoignage sur un lieu et un temps, il transcende les codes culturels yiddishiques ou tout simplement juifs. Un texte hospitalier, ouvert a tous. Plus de cent ans apres sa publication, un livre intemporel.
Commenter  J’apprécie          490



Ont apprécié cette critique (46)voir plus




{* *}