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Critique de Erik35


Erik35
07 décembre 2017
FAIRE OEUVRE DANS L'IMPOSSIBILITÉ D'UNE OEUVRE.

Impossible, en quelques lignes bien maladroites, de résumer les seize cents page de cette "somme" nullement assommante et qui permettra au lecteur attentif, souvent passionné, de découvrir ou de redécouvrir cette parole ouverte et offerte, une parole sans tricherie ni faux-semblants, rugueuse parfois, tendre souvent, sans concession assurément !

Que l'on apprécie ces poèmes au rythme chaloupé, d'une construction d'apparence simple, empruntant bien souvent l'octosyllabe, immédiatement lisible, si proche de la crudité d'une existence simple et de la vérité musicale des mots ; qu'on leur préfère ces déroutants mais tellement insinuants Papiers Collés, emprunts d'une pensée du renoncement volontaire, de la difficulté d'écrire malgré l'impossibilité de faire autrement, rédigés au hasard des impressions, des ressentis, de l'urgence au cours d'une vie quasi monacale, cette réclusion recherchée au bout du bout de l'ouest, dans cette petite ville de pêche qu'est Douarnenez ; que l'on cherche une pensée complice, stimulante mais à l'écart de toutes les modes, de toutes les facilités du temps à travers la lecture de ses notes ; que l'on savoure la pertinence des analyses de fin et infatigable grand lecteur qu'il était : on appréciera particulièrement les lignes consacrées à ses maîtres, Jean Grenier, Brice Parain, Jean Paulhan. N'oublions pas le philosophe danois Sören Kierkegaard, le poète et écrivain Paul Valéry, ou encore Jean-Paul Sartre qu'il préférait à Albert Camus. Impossible enfin de citer les innombrables amis écrivains que sa plume précise savait si bien disséquer ; quelle que soit la nature de ses propres préférences, il y a toujours quelque chose à trouver, à recevoir des réflexions, pensées, étincelles rédigées au siècle dernier par cet «homme de parole(s)» ainsi que le surnomme Thierry Gillyboeuf en intitulé de son avant-lire.

Après une longue et belle introduction de Thierry Gillyboeuf, dont il faut ici admirer le travail patient, acharné, méticuleux, pour ainsi dire amoureux et bien certainement passionné - Thierry Gillyboeuf a déjà préfacé plusieurs inédits ou rééditions d'oeuvres, de poèmes et de correspondances du finistérien d'adoption, ainsi qu'une très convaincante monographie aux éditions La Part Commune, sobrement titrée "Georges Perros" -, suit une copieuse bio-bibliographie intelligemment et agréablement illustrée de documents, photographies, annotations diverses. Enfin, le corps de l'ouvrage donne ou redonne à découvrir les textes de Perros, in extenso et par date de publication en revue, en volume ou dans des carnets et cahiers retrouvés et patiemment décryptés par Thierry Gillyboeuf. On y trouvera aussi retranscrites les interventions radiophoniques et autres entretiens de l'auteur des Papiers Collés. Quelques textes non-datés ainsi que des inédits retrouvés tandis que l'ouvrage était déjà presque composé achèvent ce corpus.
On retrouvera enfin un index de personnes et revues citées ainsi qu'une bibliographie complète en annexe.

Voici, pour achever cette inachevable présentation de cette manière de non-oeuvre polymorphe et foisonnante, tellement éloignée, en intention, en réalisation comme en destinée de ce que devient trop souvent la norme en "littérature", ce que Perros voyait venir, où ces textes sont alors d'autant plus importants à lire ou à relire qu'ils peuvent sans doute aucun accompagner toute une vie de lecture et de lecteur, voici, annoncions-nous, les premiers mots de cette savante, cette nourrissante introduction de Thierry Gillyboeuf, qui feront ainsi office de conclusion à la présente présentation générale, maladroite et tellement incomplète :

«Je me suis fait un non» : plus qu'un renoncement, cette phrase dont Perros aurait pu faire sa devise tant elle a servi de colonne vertébrale à sa vie comme à son oeuvre, exprime une cohérence. Il y a chez lui une esthétique du refus, qu semble remonter à son étonnement originel d'être là. Car il fût très tôt hanté par un taciturne goût de vivre, par ce que Miguel de Unamuno appelait "le sentiment tragique de la vie", formule qui résumait, pour Jean Grenier, la condition humaine. Perros n'a cessé d'écrire sa difficulté d'écrire, son impuissance face au roman ou au théâtre, la simplicité pauvre de ses poèmes, la légèreté gratuite de ses notes griffonnées dans ses carnets sous le coup d'une idée qui, tel un poisson, traverse les eaux vives de la pensée avant de disparaître. de ces notes, de ses poèmes, de quelques articles ou préfaces de commande, il ne cherchera pas à composer une oeuvre. il fuit, se déporte pour ne pas totalement se déserter, lui qui se dit «pris dans une fente de liberté exacerbée.»

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La suite - et quelle ! - est a découvrir dans ce dernier envoi de cette belle, indispensable collection Quarto aux éditions Gallimard. Un ouvrage qui fera assurément date, tant par le sérieux de sa composition que par l'incroyable densité de la parole perrossienne. Da viken !*



* Pour toujours, en breton.
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