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Critique de Kirzy


Rentrée littéraire 2021 # 1

Doit-on s'obstiner dans le style voire le sujet du premier, faut-il faire toute autre chose ? C'est avec brio et caractère que Christophe Perruchas fait valdinguer la question pour survoler l'obstacle du deuxième roman. Son premier, Sept Gingembres, sorti l'année dernière, était profondément dérangeant, très clivant aussi en plongeant le lecteur dans le flux de pensées et de mouvement d'un prédateur sexuel sévissant dans le milieu de la publicité. Revenir fils est tout aussi étonnant et saisissant, mais cette fois l'auteur est parvenu à faire vibrer une corde émotionnelle qui bouleverse en confrontant un fils à la folie de sa mère, duo qui bascule à la mort prématurée du père dans un accident de voiture.

Le récit est construit en un diptyque séparé d'une longue ellipse de 20 ans. La section « 1987 » est celle de l'avant drame et de ses immédiates conséquences. le fils a une quinzaine d'années, l'âge des premières aventures sentimentalo-sexuelles que l'auteur narre avec beaucoup de fraicheur et de tendresse. Et puis le père meurt et le choc du décès fait sombrer la mère qui efface de sa mémoire son fils, « orpheliné de son vivant ». Il sera élevé par son oncle et sa tante. Dans la section 2007, on retrouve le fils à l'heure de la paternité et de la vie de famille, une force le pousse à revenir fils, à affronter son passé et son futur : revoir sa mère qui vit toujours dans la même maison, enfermée dans la même folie.

Le travail d'écriture de Christophe Perruchas est remarquable, maniant, joueur, les mots avec plasticité, et alternant deux voix très différentes ( la mère ou le fils ). La voix de la mère est saisissante d'étrangeté, ne s'exprimant que par le « on », jamais avec le «je », ce qui donne à sa narration un caractère flottant, créant une distance tout en embarquant le lecteur dans sa tête confuse. La mère est atteinte de syllogomanie, du syndrome de Diogène consiste à accumuler de façon pathologique les objets les plus hétéroclites jusqu'à un envahissement de la maison.

« La maison des parents, c'est un corps qui expulse, ça se referme et ça se modifie pour qu'on ne puisse plus y revenir. Les parents, ça efface les traces des enfants, ça neige dessus. Un jour, on revient et exit, disparue la chambre de nous, môme ».


C'est bouleversant de suivre le fils s'infiltrer dans la maison de son enfance pour retrouver une place, une autre place puisque sa mère ne le reconnait plus. Il doit dompter cette colère acide, tapie depuis 20 ans, c'est l'heure de se dépouiller de son costume de plumes de canard sur lequel tout glisse en apparence pour affronter sa mère. Et c'est formidable de le voir explorer cette maison qui a muté, entité créée par la mère. Des descriptions des objets entassés, des boîtes de Nesquik à des piles de journaux, surgissent des visions étranges, comme des concrétions fantastiques. Une boite périmée de végétaline retrouvée au fond d'un placard peut générer aussi bien nostalgie qu'inquiétude. le fils devient l'archéologue de son enfance dans cette maison tentaculaire et angoissante qui a effacé toute trace de lui et sanctuarisé la présence morbide d'un grand frère décédé précocement, bien avant sa naissance. le non-fils doit reconquérir sa place en tentant de supplanter le plus-fils auprès d'une mère qui n'en est plus une mais le sera toujours malgré le traumatisme ultime de l'abandon.

Un roman puissant, original sur des thématiques fortes comme la filiation, la maternité et la paternité, la mémoire. Sombre mais ouvert sur une réinvention de sa vie et souvent très drôle tant l'absurdité des situations laisse échapper des saillies cocasses, crues aussi, en tout cas bienvenues pour aérer la tristesse et la douleur qui peuvent planer au-dessus du récit, entre rires et larmes.
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