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Critique de Ys


Au soir de la bataille de Mühlberg, les princes protestants écrasés défilent sombrement dans le camp des vainqueurs. Charles Quint, plus qu jamais, est le maître. Quelle folie a été la leur de se dresser contre lui ! Tout protestant qu'il soit, le capitaine Oeil de Verre le sait bien - il a courbé l'échine, lui, depuis longtemps, a servi aux premiers rangs de l'armée impériale.
Et pourtant... ils étaient grands, ces seigneurs protestants. Au coin du feu, un vieux soldat espagnol rend hommage au plus vaillant d'entre eux, disparu depuis longtemps. Franz Grumbach, margrave déchu de ses titres et de ses terres pour sa foi et ses révoltes, protecteur des paysans, grand bouffeur de curés, embarqué vers le Nouveau Monde où il défia à lui seul toute l'Armada de Cortés. Franz Grumbach et son arquebuse aux trois balles maudites - Oeil de Verre dresse l'oreille, comme sorti d'un mauvais songe : il le connait, se reconnait... c'est lui. La première balle tuerait le roi qu'il voulait défendre, la seconde, la femme qu'il voulait protéger. La troisième... s'il l'écoute jusqu'au bout, le vieil espagnol révélera peut-être enfin ce qu'il advint de la troisième.

Il y avait un moment que je n'avais pas lu de Léo Perutz, et c'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé cette plume si habile à invoquer les ombres de l'âme humaine et de l'Histoire pour en faire de fascinants mystères. Fascinant, l'univers de la Troisième Balle l'est indubitablement, un univers où la légende et le fantasme se mêlent étroitement au réel, où le diable veille sans cesse au grain, où la folie rôde, tapie dans les mirages de l'or et de la gloire comme dans ceux de l'amour et de la justice. Un univers de sang, de splendeur, d'énigmes et de cruauté, où la fatalité et les sortilèges pèsent d'une main de plomb, plus lourde encore que celle du soleil, sur le front des vainqueurs d'aujourd'hui et des vaincus de demain.
Malheureusement, si L Histoire est habilement détournée, si la langue est superbe et l'imaginaire captivant, les personnages, eux, manquent plus ou moins cruellement d'épaisseur et de force. Cortés finit par en acquérir - la grandeur fanatique, démoniaque, du conquérant aveugle aux souffrances qu'il inflige, résolu à tout pour atteindre son but et hanté, pourtant, par un fantôme de remords. Mendoza, le grand rival du héros, reste pour sa part assez énigmatique, dangereux et ambigu pour me plaire, mais Grumbach lui-même n'est jamais parvenu à m'intéresser - on en sait trop de lui pour qu'il perde tout mystère, pas assez pour qu'il prenne consistance, et si son destin est indéniablement terrible, il ne m'a pas bouleversée comme il aurait pu, comme il aurait dû le faire. Cela est d'autant plus frustrant que la dualité qui l'oppose et l'attache tout à la fois à son demi-frère adultérin est de ces relations qui auraient pu totalement m'enthousiasmer. L'Allemand austère et juste, le saint égaré, l'homme défiguré et hanté par la folie, contre l'Espagnol superbe et cruel, le séducteur insensible plus qu'à demi maléfique, follement orgueilleux tous deux malgré leurs divergences : tous les ingrédients sont là... sauf le petit quelque chose qui fait prendre la sauce.
Mais le pire, peut-être, est la figure de Dalila - incarnation de la parfaite potiche, à faire ressembler les héroïnes d'Hugo à des icônes féministes (et Merlin sait tout le mal que je pense des héroïnes hugoliennes !) - dont chaque apparition m'a assez agacée pour... sinon gâcher tout le reste, du moins lui faire perdre une part de son pouvoir.
Le plus grand défaut de ce roman - Faustien en diable ! - est sans doute de rester un peu trop figé dans des symboles, au lieu de développer ses personnages pour leur donner tout le corps qu'ils auraient mérité. Dommage, vraiment, mais les descriptions fabuleuses du Mexique ravagé par Cortés suffiraient à elles seules au plaisir de la lecture.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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