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Critique de leschroniquesdeminuit


« Vous qui me lisez, qu'auriez-vous fait à ma place? Nous jugeons l'histoire en ayant le privilège d'être nés plus tard » p. 41

J'ai ouvert ce livre ce matin vers neuf heures, je le referme à vingt et une heures, 221 pages plus tard, dans un état un peu second. Je suis bouleversée et en même temps je n'ai envie que d'une seule chose, c'est de silence, d'être seule avec moi-même pour commencer à réfléchir et digérer ce que je viens de lire. Pour tout dire j'ai pris des notes et commencé à rédiger cette chronique en cours de lecture parce que je me suis dit au bout de quelques pages que si je ne procédais pas de cette manière je n'aurai jamais le courage d'y revenir. Aussi je reste encore un moment dans la bulle dans laquelle je suis entrée il y a un peu plus de douze heures et je vous parle de ce récit de Stanislas Petrosky, Ils étaient vingt et cent

« le courage me manquait affreusement. Je n'étais pas du bois dont on fait les héros. Alors je me taisais, je jouais les absents, je refusais de voir les appels au secours, j'ignorais ces regards m'implorant de l'aide, de la pitié. J'essayais de m'endurcir et j'y arrivais assez bien. Mon sommeil s'améliora peu à peu. » p.21

Il est difficile de croire que l'histoire que raconte Stanislas Petrosky est une fiction. Toute la journée je me suis sentie l'indiscrète lectrice d'un journal intime saisissant de réalisme. Gunther est un jeune allemand issu d'une famille d'agriculteurs des alentours de Ravensbrück dans le Nord-Est de l'Allemagne. Il est passionné de dessin et rêve d'en faire son métier. En 1939 il a 19 ans et est envoyé par son père comme « volontaire » pour la construction d'un camp censé servir à la « rééducation par le travail » des ennemis du régime national socialiste allemand. Les jeunes travailleurs de force sont par la suite enrôlés comme Kapo, surveillants civils, dès l'ouverture du camp où une ligne de chemin de fer commence à amener des wagons entiers de femmes venues de toutes l'Europe. Tziganes, juives, handicapées, homosexuelles, résistantes ou raflées par hasard, des milliers de prisonnières de tous les âges sont acheminées dans les lieux qui seront le théâtre d'un enfer inimaginable. Gunther n'a aucun moyen de s'opposer aux forces en place, il imagine alors témoigner de la barbarie en dessinant ce qu'il voit au quotidien et qui le plonge dans l'horreur. Vite repéré par les chefs nazis du camp, il se voit attribuer une fonction de dessinateur officiel au lieu du châtiment cruel qu'il pensait subir. Pour survivre, il s'exécute jour après jour, artiste officiel à la solde du diable. Sa vie dépend de ses dessins.

« Il y eu environ soixante-quinze « lapins » à Ravensbrück. Leur block était le numéro 32, le block NN, Nacht und Nebel, nuit et brouillard, on ne gardait aucune trace d'elles dans le registre des camps, elles étaient en fait condamnées à mort dès leur noms prononcés lors de l'appel pour rejoindre l'équipe de Gebhardt » p. 58

Le camp de Ravensbrück a été un des lieux où d'infectes atrocités nazies ont été commises. Gunther est le témoin impuissant de privations, de maltraitances, d'exécutions. Chaque journée recèle son lot d'horreurs qu'il immortalise dans ses croquis. Il pense avoir assisté au pire mais comprend qu'il n'en est rien quand ses geôliers décident d'en faire le spectateur d'expériences médicales réalisées sur les femmes du camp. Il n'y a pas de mot pour décrire ce qui s'est passé entre les murs des infirmeries de la terreur. Je me souviens des images du procès de Nuremberg où des victimes venaient présenter devant la salle les stigmates de mutilations subies, comment peut-on imaginer qu'un esprit qui n'a pas sombré dans la folie totale ait pu imaginer et surtout réaliser des actes d'une telle violence? Pour moi il y a clairement quelque chose de l'ordre de la psychose, c'est inimaginable. Je me suis surprise à me positionner en spectatrice et à réagir à ce que je lisais comme si ça n'était pas la réalité, une dénégation. Mais pourtant si… C'est insoutenable.

« Je pouvais concevoir que l'idée de la solution finale puisse germer dans un cerveau dérangé, que d'autres hommes le suivent aussi : un pays entier, je ne pouvais le comprendre! Et encore moins assimiler que le monde le laisse agir » p. 119

Je ne vais pas insister davantage sur l'histoire de Gunther, je laisse aux autres lecteurs le soin de la découvrir. Cette lecture m'a été très difficile pour de nombreuses raisons, mais je suis heureuse d'avoir été au bout de ce récit pénétrant. J'ai senti, dès lors que je débutais cette histoire, que quelqu'en soit la pénibilité je me devais d'aller au bout, car qu'est-ce qu'une lecture face à un vécu pareil. C'est ma première lecture de Stanislas Petrosky et j'en reviens à ce que je disais un peu plus haut, j'ai du mal à imaginer que l'histoire de Gunther soit le fruit de son imagination. Sa plume est si fine, réaliste, gorgée de détails qu'on oublie totalement qu'il s'agit d'une fiction. le sujet s'y prête car il est extrêmement documenté mais quand même… Ce texte, dont la narration est entrecoupée de scènes prises sur le vif, est d'une force incroyable, il met le lecteur face à une des faits inacceptables dont il faut pourtant avoir conscience.

« Pendant que je dessinais, ma pensée ne quittait pas ces femmes qui n'auraient jamais de véritable sépulture, et ces familles qui ne pourront jamais se recueillir au pied d'une tombe pour pleurer une fille, une épouse, une soeur, une mère. Aucun rite religieux, pas de minute de silence, rien… » p. 208

L'auteur insiste à plusieurs reprise sur notre devoir de mémoire, en particulier pour les jeunes générations, dont les grands-parents sont nés après guerre, et qui n'ont eu que très peu de récits des cette période noire. Je suis évidemment d'accord avec le fait qu'il faille transmettre ce pan de notre histoire, ne pas oublier cet immense génocide et tous les crimes qui lui sont associés. Il faut en parler et expliquer que c'était hier, que toutes nos familles ont été touchées, ce qu'est un crime contre l'humanité, ce qu'est le sentiment d'humanité qui a toutefois apporté quelques lueurs d'espoir. Je pense toutefois que c'est un livre à ne pas mettre entre les mains de collégiens voire de lycéens. Certaines scènes sont tellement dures que je crois qu'il faut une certaine maturité pour pouvoir les aborder au risque de n'en retenir que le choc et de ne pas comprendre le fond et l'importance qu'il y a à les relater.


Merci à Stanislas Petrosky pour avoir écrit ce chef d'oeuvre. C'est difficile de qualifier un tel ouvrage, quoi qu'il en soit je me doute que le choix de ce sujet n'est pas le fruit d'un hasard et que l'écriture a pu en être douloureuse. Merci d'être allé au bout, je ne sais pas quoi dire de plus, je vais continuer à penser à tout ce que j'ai lu aujourd'hui.
Lien : https://leschroniquesdeminui..
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