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Critique de HordeDuContrevent


L'histoire d'un abandon, voire d'une fuite…

Très peu d'étoiles associées à cette critique mais si je n'ai pas aimé du tout lire ce livre au point de ne pouvoir le terminer, cela parle davantage de moi que de ce roman initiatique, livre-monde aux indéniables qualités.

Je suis entrée dans la Maison, impatiente et curieuse, il faut dire qu'après une telle présentation, on ne peut résister s'attendant à ne jamais pouvoir lâcher le livre et à être transformé par cette immersion :
"Dans la Maison, vous allez perdre vos repères, votre nom et votre vie d'avant. Dans la Maison, vous vous ferez des amis, vous vous ferez des ennemis. Dans la Maison, vous mènerez des combats, vous perdrez des guerres. Dans la Maison, vous connaîtrez l'amour, vous connaîtrez la peur, vous découvrirez des endroits dont vous ne soupçonniez pas l'existence, et même quand vous serez seul, ça ne sera jamais vraiment le cas. Dans la Maison, aucun mur ne peut vous arrêter, le temps ne s'écoule pas toujours comme il le devrait, et la Loi y est impitoyable. Dans la Maison, vous atteindrez vos dix-huit ans transformé à jamais et effrayé à l'idée de devoir la quitter."

Je suis entrée dans la Maison après qu'elle m'ait fait l'honneur de m'ouvrir ses portes en étant persuadée de m'y sentir bien, de m'y sentir un peu comme chez moi et de vivre une véritable aventure avec mes autres co-locataires, Sandrine, Bernard, Diana et Doriane. J'aime les expériences de littérature, aucun doute cette Maison étrange, qualifiée parfois d'OVNI littéraire, d'OLNI, saurait m'enchanter et me fasciner le temps de quelques longues heures. Certaines critiques magnifiques et dithyrambiques, je pense entre autres à celle d'Onee, m'ont de plus tellement plu et convaincue.

C'était hélas sans compter sur ma claustrophobie, réelle, et mon caractère solitaire…Après une immersion enchanteresse, la Maison m'a peu à peu engloutie, asphyxiée, étouffée de ses odeurs, de sa promiscuité, de ses nuits interminables et de ses aubes pisseuses, de ses poussières et de son manque de lumière, de son étrangeté, au point de me sentir mal à chaque fois que j'en ouvrais la porte, et de ne plus pouvoir en franchir le seuil. Ce fut physiquement impossible, en proie à des maux de tête, presque des nausées, un quasi-dégout, procrastinant chaque poursuite pour finir par abandonner, penaude et confuse. Pour finir par la fuir, sortir en courant, sans me retourner. Abandonnant lâchement mes co-locataires qui, eux, y ont vu des choses que je n'ai pas vu, qui ont pris un réel plaisir à l'habiter, à s'y couler, à s'y intégrer et à aller butiner dans chaque alcôve présente au sein de la Maison, telle une ruche vivante, foisonnante.

Cette Maison dans laquelle il se passe en effet tant et tant de choses. Multiples événements qu'il est délicat de résumer facilement, si ce n'est qu'il s'agit d'un institut pour enfants et adolescents souffrants tous de handicaps différents. Certains sont handicapés des jambes, d'autres n'ont pas de bras, certains sont aveugles, d'autres ont des problèmes psychologiques, tels que paranoïa, schizophrénie…Cette Maison, ce foyer, est dédié à ces enfants. La Maison est située aux confins d'une ville, dans un quartier délabré, comme pour bien souligner la mise à l'écart de ces jeunes marginaux. Chaque enfant a un surnom et vit au sein d'un groupe, chaque groupe ayant à sa tête un chef et des caractéristiques qui lui sont propres. Chaque groupe a ses lois, ses rites, ses légendes et réinvente l'ordre et la hiérarchie. Chaque groupe a ses ambitions, ses coups du sort, ses ratés, ses succès. Ses alliés et ses ennemis. Une mini société à chaque chambrée. Obéissante pour certaine, anarchiste, écologique ou gothique pour d'autres. Cet aspect sociétal est envoutant je dois bien le reconnaitre. Envoutant et fascinant également la Maison en tant que telle sur laquelle je me suis d'abord concentrée, cette maison que l'on voit de l'extérieur, c'est-à-dire du point de vue des adultes, et surtout de l'intérieur, adoptant de ce fait de le point de vue de ces adolescents. Des mondes intermédiaires semblent surgir, telle que la Forêt, sorte d'imaginaire initiatique du passage au monde adulte.

Je savais certes que l'expérience allait être pour le moins étrange, le livre nous le signale à maintes reprises, si singulière au point d'être accepté ou rejeté par le livre lui-même :
« La maison exige une forme d'attachement mêlée d'inquiétude. du mystère. du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, elle gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes... C'est une divinité puissante et capricieuse, et s'il y a quelque chose qu'elle n'aime pas, c'est qu'on chercher à la simplifier avec des mots. Ce genre de comportement se paie toujours ».

Mais le scénario avait tout pour me plaire, ce roman initiatique, véritable éloge de la différence, avait tout pour me porter, traitant d'un sujet universel, celui des affres de l'adolescence. Ces enfants éclopés éprouvent ce que tout adolescent éprouve : la peur de devenir adulte, de ne pas être à la hauteur en devenant adulte, c'est-à-dire ici en sortant de la Maison. La façon de traiter ce sujet m'a même fait penser au réalisme magique de la littérature sud-américaine. Sans parler de la plume de Mariam Petrosyan, magnifique, comme l'indique le nombre incroyable de passages surlignés dans mon livre, et de l'humour qui vient réchauffer cette ambiance aux tonalités souvent sombres et froides :

« Au moment où je lui retournai sa gifle, les filles exultèrent ; je compris tout de suite que c'était précisément ce qu'elles attendaient. Gaby rejeta la tête en arrière et poussa un hurlement plus perçant que le foret d'une perceuse dans un mur de béton. Les autres donnèrent de la voix à leur tour et se laissèrent tomber du comptoir – une, puis deux, puis trois, puis dix – telles des prunes trop mûres, à cette différence près que des prunes ne se seraient pas jetées sur moi ».

Alors pourquoi une telle sensation physique de lassitude dans un premier temps, puis de rejet total ?

La longueur du livre tout d'abord, aux environs de 1000 pages, 1070 pages exactement, une brique. Un pavé uniquement centré sur la maison, ses habitants, ses mystères, ses rituels. Une lecture stagnante…J'ai eu l'impression de déguster tout d'abord un plat succulent, un plat centré sur un seul met, dont le goût absolument unique a fini par devenir de plus en plus écoeurant. Jusqu'à l'indigestion. Ce que j'ai préféré dans le premier tiers du livre fut précisément les rares moments où nous voyons la Maison de l'extérieur, cela apporte des respirations bienvenues et un certain recul pour mieux se replonger dans la Maison ensuite.

L'ambiance ensuite, certes onirique, envoutante, captivante, voire ensorcelante, fantastique, mais une ambiance saturée, un huis-clos sentant le renfermé, le jus de chaussettes, la sueur froide et le café bouilli, une atmosphère poussiéreuse, poisseuse, qui a fini par me mettre mal à l'aise, à venir titiller ma claustrophobie et à venir réveiller l'aiguillon de la saudade, cet aiguillon qui me pique si souvent lorsque je n'ai pas ma dose de solitude et d'air libre, sans parler de ces enfants cabossés dont on ne cesse de regarder les déambulations, leur façon de ramper, de se mouvoir, de se chercher, de se battre…je ne me sentais pas à ma place et ne désirais qu'une chose : en sortir. La galerie des personnages est riche mais je n'ai pas réussi à m'attacher à ceux-ci, restant observatrice, extérieure dans cet intérieur…enfermée tout en étant tenue à distance. Ce qu'il y a de pire pour moi pour me mettre mal à l'aise.

Enfin, une lecture tellement énigmatique qu'elle m'a perdu. On sent qu'il y a de multiples références, à chaque page, à chaque citation postée en début de chapitre, des failles temporelles, des failles spatio-temporelles même, des boucles de temps circulaires, des références à de grands classiques tel que Alice au pays des merveilles (la seule que j'ai vraiment réussi à appréhender mais il y en a plein d'autres manifestement à côté desquelles je suis passée). Je suis consciente de sa richesse, consciente d'être passée à côté d'un phénomène, d'un livre qu'il est possible de relire de multiples fois en découvrant à chaque lecture des pépites, des clins d'oeil. J'en suis consciente mais je n'ai pas réussi à accrocher.

Cet abandon m'a posé question. Aurais-je perdu mon âme d'enfance et l'adolescente ? Ai-je oublier la magie et l'univers propre à cette période de la vie au point de m'en lasser lorsqu'un livre tel que celui-ci propose une immersion jusqu'au-boutiste dans cet âge d'or dont on ne veut jamais sortir, tel Peter Pan ? Pourquoi cet OVNI n'a pas fonctionné sur moi ? Pourquoi n'ai-je pas ressenti à la lecture de ce livre la nostalgie de l'adolescence ? Pourquoi ne me suis-je pas reconnu dans les tourments de ces adolescents ? le fallait-il d'ailleurs ?
Et puis je me suis dit qu'une expérience de littérature ne fonctionne pas avec tout le monde et c'est ce qui en fait sa richesse. Pour moi ce fut un sacré raté que je ne suis pas prête d'oublier, un raté si étrange, le livre étant riche de nombreuses et magnifiques fulgurances, de beautés incroyables, notamment dans la Forêt, sorte d''endroit imaginaire, qui comporte des passages merveilleux, Mariam Petrosyan a réellement une écriture fluide et intelligente, mais le tout m'a provoqué un malaise que je n'ai jamais éprouvé auparavant en lisant. Et c'est sans doute en cela que le livre est magistral, certains ont envie de s'y perdre et de se laisser porter, d'autres d'en comprendre toutes les facettes et d'intellectualiser l'expérience, certains comme moi sont tout simplement rejetés et vivent ce rejet non sans un certain malaise. Pas étonnant qu'il existe des forums, des groupes de discussions dans le monde entier à propos de ce livre…C'est exceptionnel d'avoir des ressentis si variés, des discussions si poussées, des analyses si fines, d'autant plus qu'il s'agit du premier roman de Mariam Petrosyan, premier roman qu'elle a mis dix ans à écrire.

Lors de notre lecture commune je fus la seule à avoir abandonné et à n'avoir pas aimé. Aussi je vous invite à découvrir les critiques de mes ami.e.s Babeliotes, @HundredDreams, @Berni29, @DianaAuzou et @Yaena, qui, comme de nombreux autres lecteurs, sauront vous convaincre de rentrer dans la Maison et de l'aimer à sa juste valeur !
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