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Critique de Kirzy


Kirzy
27 septembre 2020

°°° Rentrée littéraire 2020 # 25 °°°

« Elle s'accroupit devant le miroir dans le noir, cramponnée à eux. le bébé sous son bras droit, la fillette sous son bras gauche.
Des pas résonnaient dans l'autre pièce.
Elle les avait entendus un instant plus tôt. Elle avait éteint la lumière, s'était emparée de son fils, avait traîné sa fille à l'autre bout de la chambre pour se cacher dans un coin.
Elle avait entendu des pas.
Mais elle entendait parfois des choses. Une ambulance qui passait, prise à tort pour les plaintes nocturnes de Ben. Les gonds crissant de l'armoire à pharmacie, devenant le soupir agacé de Viv avant que celle-ci pique une crise .
Son coeur et son sang battaient fort. Elle aurait aimé qu'ils battent moins fort. »

Dès les premières lignes, ce roman très singulier distille une ambiance insidieusement étrange rendant le lecteur immédiatement nerveux, sensation de menace sourde qui perdurera durant tout le roman. D'autant plus que Molly, paléobotaniste, a découvert dans la Fosse, son site de fouilles, de curieux artefacts à l'origine inconnue, des objets connus correspondant à des périodes spécifiques mais avec une excentricité déroutante comme une bouteille de coca avec le script penché à gauche et surtout une vieille Bible où le pronom divin est « Elle » …

Helen Phillips revisite de façon très personnelle le thème de la maternité en ancrant son roman dans la conscience d'une femme épuisée, désorientée depuis son premier accouchement ; elle fouille la vie émotionnelle de Molly couche après couche dans un récit en poupées gigognes constitué de chapitres courts à tir rapide pour mieux accentuer la vitesse folle des turbulences que Molly traverse.

C'est très rare de voir la maternité présentée sous un angle aussi effrayant, conduisant Molly au bord de la folie : la maternité comme confrontation schizophrénique des identités rivales d'une femme qui s'inquiète de la personne qu'elle devient pour répondre aux besoins de la famille, qui se bat avec le quotidien utilitaire que la société lui impose alors qu'elle aspire à d'autres horizons.

Helen Phillips pousse les curseurs très loin avec ce thriller domestique aux accents lovecratfiens. C'est très pertinent d'utiliser les tropes de l'horreur du quotidien pour déclencher une réflexion féministe. Comme Molly, le lecteur est sans cesse désorienté, ses repères brouillés par cette atmosphère anxiogène qui naît d'une phrase, d'un mot, toujours à la frontière du fantastique, entre fantasmes, peurs, cauchemars et hallucinations.

Un bémol toutefois, j'ai trouvé que LA révélation fondamentale du roman arrivé un peu trop vite, ce qui a tendance à étirer le dénouement ou du moins le chemin qui mène à lui. La quatrième de couverture est très dommageable, d'ailleurs, car elle révèle d'emblée ce qui ne devait pas l'être.

Reste que ce roman est brillant, autant imprégné de vérités essentielles sur la maternité que d'un sentiment sauvage désarticulé d'irréalité. Un tour de force qui tord les attentes du lecteur en manipulant une histoire apparemment très simple. A noter, une traduction vraiment remarquable de la part de Claro qui permet de savourer une écriture de vraie styliste.

Lu dans le cadre du Prix du roman Fnac 2020
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