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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


D'abord, rendons à César ce qui appartient à Masse Critique : grand merci à Babelio et aux éditions du Cherche Midi pour cette découverte (bravo pour l'efficacité et la rapidité !).

Ensuite, signalons que, une fois n'est pas coutume, la 4ème de couverture résume fort bien l'histoire.

Venons-en enfin aux choses sérieuses (ou pas). Ce livre aurait pu être sous-titré « Petit traité de mystification autour d'un inédit de Shakespeare ».
Car la manipulation est au coeur de ce récit et se joue à plusieurs niveaux.
Pour commencer, le narrateur porte le même nom que l'auteur, Arthur Phillips, et partage avec lui certains éléments de biographie. Dès lors, on se demande déjà si c'est une autobiographie, ou un écran de fumée pour embrouiller le lecteur. Et puis, le récit se présente sous forme de Mémoires. Mais les souvenirs d'enfance du narrateur sont-ils fiables ?

Tentatives de manipulation du lecteur, donc, mais la principale victime semble bien être le narrateur lui-même : il se fera avoir tour à tour par son père, sa soeur jumelle, sa petite amie (la sienne ou celle de sa soeur, d'ailleurs ?), voire sa mère, peut-être même son éditeur. Oui mais…qui manipule qui, en réalité ? Et est-ce de la réalité ou de la fiction ?

Arthur Phillips (je parle du narrateur, pas de l'auteur, ni de son père (celui du narrateur, pas celui de l'auteur) qui s'appelle aussi Arthur Phillips – vous suivez ?), romancier américain, se voit confier par son père quasiment à l'agonie, une pièce inédite de Shakespeare, « La Tragédie d'Arthur ». Colossale aubaine artistique, éditoriale et financière, penserez-vous. Oui mais voilà, Monsieur Phillips-père a passé une grande partie de sa vie en prison, purgeant de nombreuses peines en tant qu'escroc et …faussaire. Arthur-le-fils doute donc automatiquement de l'authenticité de la pièce, comme il a toujours douté des sentiments de son père à son égard. Il exécute cependant la volonté de ce dernier et confie la pièce à son éditeur, qui enclenche le processus d'authentification, Arthur-fils se réservant le droit de publier une « introduction-vérité » à la Tragédie.

C'est là qu'il nous fait part de son histoire et de ses relations avec son père et avec Shakespeare. On apprend que ce dernier a considérablement influencé Arthur et Dana, sa jumelle. Leur père vouait en effet un culte à Shakespeare et a tenté de transmettre sa passion à ses enfants. S'il y réussit totalement avec Dana, il n'arrive qu'à en dégoûter Arthur. Oui mais…Arthur ne serait-il pas plutôt écoeuré par la plus grande complicité entre sa soeur et son père, due à cet amour commun du Barde ? C'est un peu le même rapport amour-mépris-rancoeur entre Arthur et son père qu'on retrouve entre Arthur et Shakespeare. Paradoxal quand on sait que c'est Arthur, et pas Dana, qui devient écrivain. Shakespeare, père spirituel d'Arthur-fils, au grand dam de celui-ci ? Curieux rapport de paternité quand on y pense, puisque c'est Arthur qui « mettra au monde » cette Tragédie en la publiant…

Ce livre m'a plu davantage pour sa forme que pour son contenu. Les questionnements et états d'âme du narrateur ne m'ont pas emballée, malgré quelques développements intéressants (voir plus loin). Par contre, la construction est épatante. Dans ce récit, les doutes surgissent de partout, c'est un jeu de miroirs étonnant de maîtrise. J'ai apprécié cette accumulation de trompe-l'oeil, qui fait tourner la tête et perdre le sens de la logique et de l'orientation. Roman ambitieux et intelligent, on y trouve aussi quelques intéressantes variations sur les thèmes de l'authenticité (des oeuvres et des sentiments), des relations filiales, et de la gémellité : « …je ne pouvais pas expliquer (…) pourquoi j'aimais Dana plus que toute personne que j'aie jamais connue, pourquoi je ne me sentais véritablement moi-même que quand j'étais avec elle. (…) Désirant à tout prix être unique et être joint à quelqu'un d'autre ; (…) désirant à tout prix être glorifié pour mon originalité et aimé pour ma similitude » (p.460).

Le narrateur (l'auteur ?) ne se prive pas non plus d'autodérision et d'ironie, et pose la question (avec un brin de mauvaise foi ?) de la valeur artistique d'une oeuvre : « s'il n'y avait pas son nom dessus, la moitié de son oeuvre serait huée hors de scène, rejetée par les critiques comme branlante et ne serait plus imprimée. Au lieu de ça, nous disons que c'est Shakespeare ; il doit faire quelque chose de profond que nous n'apprécions pas. (…) Car le maître ne peut pas avoir tort, par définition. Toutes les fautes que nous percevons sont chez nous, nous ses lecteurs fautifs » (p.193-194).

Mais au fait, Shakespeare ne serait-il pas l'ultime manipulateur ? Nous, simples mortels qui pensions disposer d'un libre-arbitre, ne serions-nous pas en définitive le fruit du culte voué depuis des siècles à ce génie dont nous avons si bien intégré l'oeuvre que « nous sommes tous lentement mais sûrement devenus semblables à ses personnages. Nous pensons comme il nous a montré que les gens pouvaient penser. La vie est fidèle à son art, pas le contraire » (p232).

D'ailleurs, à ce stade, il faut bien admettre que la pièce est authentique, puisqu'elle a été publiée…Vertige, vous avez dit vertige ?

Pour terminer, je n'insisterai pas sur certains néologismes, bizarreries et lourdeurs de traduction, mais quand même : avunculairisant (j'ai appris quelque chose), gougne-carlin (??), gielgudée (de Gielgud, merci Wikipedia), retôt (contraire de retard, I guess ?), « il a fort bien pu être allé voir » (sic), Grèce ancienne (et pourquoi pas graisse antique ?), identicalité (ouf…). Bref, à lire en version originale si possible.
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