Qui a tué Mathusalem ?

Lorsque Stew arriva dans le hall, Sarah s’arrêta de marcher en rond et de maugréer. D’un geste énergique, elle lui ordonna de faire demi-tour vers la porte qu’il venait d’ouvrir : ils avaient tout juste le temps d’aller sur les lieux avant que la nuit tombe. Le capitaine, tout en s’affalant dans un fauteuil, lâcha un « pas la peine » laconique sans même la regarder.

Ovambo était sur une autre affaire pour la journée. En attendant que le policier d’exception ne prenne les choses en main, lui-même s’annonçait pour la fin de l’après-midi.

À trente ans, Sarah avait accompli le plus gros de la tâche et réussi à obtenir le label si convoité permettant d’afficher auprès des agences de voyage qu’elle offrait les fameux Big Five

Sarah comprit après quelques explications que, si elle souhaitait voir l’enquête avancer, elle serait avisée de ne pas insister. Elle offrit une bière à Stew avant qu’il ne reprenne la route. Il parut s’adoucir et lui promit qu’il allait, une fois au Cap, évoquer l’affaire avec le bureau du trafic d’animaux. Il côtoyait le boss de ce nouveau département, un certain Kalanga, à qui il demanderait de dépêcher cet ancien enquêteur de la criminelle avec qui Stew avait travaillé.

Alors élucider la mort d’un rhinocéros, même abattu comme un guérillero, ne lui procurait pas la même adrénaline, voire ne lui en procurait pas du tout.

Qui connaît les coulisses de la ville, ses bas-fonds et tutoie les voyous mais correspond avec son ex-femme par lettre d’avocat. Le capitaine avait passé ses quinze premières années de flic à traquer les criminels du Cap : des psychopathes juvéniles, des braqueurs cocaïnés et surarmés, des mafieux de tous horizons… Et les fameux gangs ultra-violents qui régnaient désormais sur une grande partie des zones urbaines de la nation arc-en-ciel.

D’après l’absence de traces de pneus, les « assassins », comme il les appelait maintenant avec une pointe d’ironie, avaient dû se pointer en hélico pour « fumer » le rhinocéros. Sarah lui fit remarquer que, pour un protecteur des animaux, il parlait comme un flic de série policière. C’était exactement ça, songea-t-il en se remémorant son apprentissage. Le genre qui planque avec plaisir dans un « sous-marin » sentant la pisse tant ses occupants ont loupé le trou de la bouteille.

Le capitaine la coupa : si elle le voulait bien, ils en rediscuteraient à l’occasion. Il voulait rentrer chez lui avant l’aube car malheureusement il n’avait pas, lui pauvre Noir qu’il était, les moyens de s’offrir une piscine et un spa à domicile. Sans laisser le temps à la jeune femme de répliquer, il enchaîna à propos des indices.

Sarah lui répondit qu’il pouvait bien étaler son cynisme de citadin, il ne s’en agissait pas moins d’un meurtre. Le capitaine Stew sourit et, tout en désignant un léopard empaillé qui trônait au pied d’un escalier, demanda s’il était mort d’une crise cardiaque. La jeune femme parut gênée, et se perdit en explications à peine marmonnées : un souvenir de son père… Ce lodge, c’était sa ferme. Elle l’avait transformée à sa mort en un parc animalier, avait aménagé des chambres de luxe pour les touristes, et…

Bien calé, il leva enfin la tête vers elle et, face au mutisme interdit de la jeune femme, ajouta que la situation était claire. Que l’animal était mort abattu de deux balles de 7,62, un calibre de fusil d’assaut, comme le lui avait décrit Hans au téléphone, un homme expérimenté. Qu’il venait de se farcir cinq heures de route, et qu’il n’avait donc aucune envie d’y ajouter deux heures de tape-cul dans la réserve pour voir un cadavre à moitié bouffé. On ne venait pas non plus de descendre le président Kennedy !