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Critique de kielosa


Je suis reconnaissant à mon amie Doriane, Yaena sur Babelio, pour la découverte de cet ouvrage qui analyse un phénomène, les enfants et adolescents au front lors de la première boucherie mondiale, qui comme elle note très correctement "est peu abordé dans les livres d'Histoire". On peut d'ailleurs se poser la question : pourquoi ? Comme si ce n'est pas assez terrible de voir des galopins de 13 à 17 ans en uniforme muni d'un fusil à baïonnette au lieu de jouer paisiblement aux billes. D'autant plus que ces combattants juvéniles ont été très nombreux. Pour une guerre qu'au fond personne ne voulait.

Heureusement que nous avons Manon Pignot, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Picardie Jules Verne à Amiens, (si elle n'a pas été promue récemment), pour se spécialiser dans ce sujet complexe. Et avec succès, puisque invitée à l'étranger à titre d'experte, comme ce fut le cas pour la conférence de Francfort en Allemagne sur la place des enfants dans la Première guerre mondiale, en 2014. Elle n'avait que 36 ans et avait déjà publié 4 ouvrages remarquables : "La guerre des crayons" en 2004, "L'enfant-soldat : XIXe-XXIe siècle" en 2012 et la même année "Allons enfants de la patrie" et "Paris dans la grande guerre" en 2014.
Comme quoi une grande intelligence et une grande beauté peuvent aller parfaitement ensemble.

La jeune scientifique, Manon Pignot, a bien sûr entièrement raison, lorsqu'elle note que "l'enjeu n'est pas d'arriver à de véritables données chiffrées - entreprise totalement illusoire compte tenu des modalités d'engagement largement clandestines". (page 35). Elle ajoute que les "ado-combattants" ont vraisemblablement représenté moins de 1 % des effectifs. Elle cite pourtant le chiffre des "underage soldiers" du corps expéditionnaire canadien à 16.300, ce qui n'est quand-même pas peu !

Les mobiles de l'enfant et/ou adolescent qui se porte volontaire sont essentiellement un patriotisme exacerbé et la vengeance ou la haine de l'ennemi. Il convient de signaler que la presse et la littérature de jeunesse ont sérieusement participé à cette mobilisation. Armand Vincent, dans son témoignage "L'itinéraire difficile" se rappelle : "Je me sentais tout vibrant de patriotisme, prêt à reprendre l'Alsace et la Lorraine..." Il avait 15 ans.

Un aspect important couvert par cet ouvrage a trait à l'augmentation de la délinquance juvénile. Selon l'auteure, elle ne démarre vraiment qu'en 1915, c-à-d un an après le début des hostilités. Elle avance comme explications majeures : l'absence, dans beaucoup de familles, du père parti au front ; la perturbation du système scolaire et le manque de travail. Facteurs qui font que les jeunes, en l'absence de surveillance, sont confrontés à l'oisiveté.
Les 2 principaux délits des jeunes sont le vol et le vagabondage.

Le vol doit, bien entendu, être situé dans un contexte de pénurie grandissante et la détérioration des conditions socio-économiques des familles. Un phénomène commun à tous les pays en guerre. En Allemagne des cas rares de bandes de 30 à 50 garçons, certains pas plus âgés que 12 ans, s'attaquaient aux trains de marchandises dans les gares ferroviaires.

Le vagabondage est une délinquance spécifique de guerre : les départs "souvent improvisés" vers la zone des combats. Par esprit d'aventure et par patriotisme, des galopins se mettent à suivre les troupes de passage. Ce fut notamment le cas de 4 gamins de Bourges, âgés 13/14 ans, arrêtés 250 kilomètres plus loin, à Saint-Ouen, pour vagabondage et remit par un juge au service de rapatriements. Les journaux russes rapportent des fugues de jeunes sur des distances à peine croyables.

La prostitution des jeunes filles et le racolage des jeunes garçons auprès des soldats inquiètent les autorités et se manifestent un peu partout. le juge allemand Albert Hellwig (1880-1950), dans un ouvrage déjà publié en 1916 relatif à la guerre et la criminalité juvénile, considère que "la prostitution précoce est le premier type de délinquance dont l'augmentation est provoquée par la guerre".

L'ouvrage compte de très nombreuses photos. Ce qui n'est pas dû au hasard, comme l'explique Manon Pignot. Pour brosser un portrait aussi précis que possible de ces ado-combattants les photographies sont essentielles : "elles permettent d'identifier des individus et, si par chance un nom les accompagne, de retracer des parcours".

Il s'agit d'un ouvrage important sur un sujet complexe et difficile par une historienne qui a épluché un nombre gigantesque de documents, tant des fonds d'archives que des sources imprimées (pédagogiques, médicales et judiciaires) et des sources secondaires, telles les biographies, témoignages et la littérature. le livre de Manon Pignot est également exceptionnellement riche et couvre, en l'espace de 319 pages, des éléments surprenants de cette question des combattants juvéniles de la Grande Guerre. Il en résulte que son ouvrage requiert de la part des lectrices et lecteurs une certaine dose de concentration.

En août 1914, le jeune Alfie Knight écrivait au ministre de la guerre britannique, lord Kitchener (1850-1916), : "Je suis un garçon irlandais de 9 ans et je veux aller au front. Je sais rouler vite sur mon vélo et je pourrais partir en tant qu'estafette.... Je suis un bon tireur avec un revolver et je tuerais un bon nombre d'Allemands...." La réponse fût bien sûr : "Lord Kitchener me demande de vous remercier...mais il craint que vous ne soyez pas assez vieux pour aller au front en tant qu'estafette. Cordialement, H.J. Creedy, secrétaire particulier ". (page 83).
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