AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LouisCanard


A l'heure où l'extrémiste de droite Jair bolsonaro vient de prendre ses fonctions de président de la république fédérative du Brésil, il est indispensable de lire "Lapa la nuit", roman graphique de Nicolaï Pinheiro, jeune scénariste/dessinateur franco-brésilien.
Né l'année de la fin de la dictature militaire, Nicolaï Pinheiro doit sans aucun doute amèrement regretter que son pays de naissance ait porté au pouvoir cet ex-militaire nostalgique de la junte. C'est en tout cas ce qu'on peut penser en lisant sa BD, récit hanté par de vieux hauts gradés rêvant de coups d'état dans des restaurants de luxe et élevant leurs enfants dans la haine de l'Autre.
Lapa est un quartier de Rio où les jeunesses dorées et défavorisées se rencontrent et se mélangent dans les fêtes nocturnes. En choisissant ce lieu, Pinheiro veut montrer du Brésil l'image d'un pays dans lequel les communautés, ethniques, culturelles, sociales savent aussi cohabiter, se mêler, et dans lequel la violence est une possibilité, pas une fatalité. Fabio dit vers la fin de la nuit : " Je sais pas, j'avais l'impression qu'il y avait tout le temps un… comme un danger qui rôdait, autour de nous. " Avec ses mots à lui, il exprime ce que ressent aussi le lecteur immergé dans cette nuit brésilienne : une tension permanente, des potentiels intenses qui tourbillonnent, générés par l'énergie, le dynamisme, la force, la vivacité des protagonistes. A chaque instant, tout semble pouvoir également devenir formidable ou horrible.
"Lapa la nuit" est un tour de force narratif, mais ça ne saute pas forcément aux yeux - et ça fait partie de la performance.
Parce qu'une fois le livre refermé, Fabio et Joana, deux amis issus des quartiers sud aisés de Rio, Cacique, venu de la partie nord, défavorisée, de la ville et Erika, belle allemande de passage, plus une douzaine de seconds rôles, se seront croisés et recroisés à Lapa, ce creuset où tous les possibles bouillonnent. Et jamais le lecteur n'aura perdu le fil, mélangé les trames, et aucune figure du récit n'aura été négligée, aucune ambiance ou nuance sacrifiée ; et tout aura été mené avec une aisance élégante, sans effets de manche, avec une fluidité dansante, musicale. L'auteur aura réussi à impliquer le lecteur dans une relation ludique avec son récit choral grâce à l'orchestration parfaite de chassés croisés, d'errances et de retrouvailles, de dialogues téléphoniques mis en scène aux deux bouts du fil, de valses hésitations.
Dessiné dans une ligne claire sensuelle qui fait la part belle aux visages (grâce auxquels s'exprime toute la richesse du melting-pot brésilien), avec des cadrages qui appuient les dialogues, des couleurs chaudes et franches, "Lapa la nuit" est une ode pleine de charme au Brésil grâce à laquelle Nicolaï Pinheiro parvient à éloigner le lecteur des clichés les plus éculés sur son pays de naissance.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}