Citations sur Usurpation (10)
Je me sens inutile. J’étais toute fière ce matin d’arriver ici avec mes cartons d’antibiotiques et de médicaments en tous genres que j’étais enfin parvenue, après de longues mésaventures, à dédouaner et à faire sortir de la zone de transit du port où ils risquaient, à force de tracasseries administratives, de rester un bon moment, jusqu’à se périmer avant d’avoir pu être utilisés. Encore une fois, Richard a été prodigieux. La logisticienne en titre, c’est moi. C’est moi qui ai la signature, c’est mon nom qui figure sur les bons de livraison mais c’est lui qui sait comment agir. Difficile pour MSF de rentrer dans le jeu de la corruption. Bien sûr, nous savons qu’il faut "arroser" pour accélérer la procédure et récupérer le matériel dont nous avons absolument besoin, mais nous savons aussi qu’en tant qu’organisation humanitaire il nous est impossible de le faire avec autant de légèreté et de décontraction que les entrepreneurs privés. Si cela venait à se savoir, nos interlocuteurs locaux : gouvernement, opposition, ONG concurrentes, auraient tôt fait d’utiliser l’argument contre nous. Et c’est là que Richard intervient. Il sait exactement à quel moment et auprès de qui il faut se montrer généreux pour conjuguer efficacité et discrétion.
Les goûters de Paulette étaient célèbres chez tous les mômes des Petites Dalles, qu’ils fassent partie des rares résidents permanents ou des nombreux vacanciers réguliers. Elle adorait improviser en fonction du nombre d’amis que j’avais conviés à venir jouer, que j’avais ramenés de façon impromptue ; improviser aussi selon ce qu’elle avait en réserve. Si le pain n’était pas suffisant pour un goûter "tartines", elle n’hésitait pas à sortir la farine et les œufs pour nous régaler de crêpes au sucre au léger goût de rhum. Si la huche contenait une baguette ou un parisien trop ancien et trop dur, elle nous concoctait un "pain perdu" à se damner. Si ses placards étaient vraiment vides, nous nous contentions de fruits de saison ou de compote de pomme stérilisée qu’elle sortait, selon son expression, "de derrière les fagots". Mais elle répugnait à nous servir des gâteaux tout faits, bourrés de sucre et "inventés par quelques industriels de l’agro-alimentaire plus dans le but, prétendait-elle, de faire du profit et de vendre de l’emballage que dans celui de faire grandir les enfants et de leur apprendre à éveiller leurs papilles".
D'abord, il y eut la chaleur : celle qu'un rayon de soleil avait agréablement déposée sur ma peau. Il s'était immiscé dans la chambre à travers les doubles rideaux mal fermés. Il avait escaladé le lit et s'amusait maintenant sur ma fesse droite. C'est l'asymétrie de la sensation qui m'a réveillée.
Dans la pension où j’étais, je n'ai cessé d'entendre des tirs
Je ne ressentais aucune crainte, rien que de la colère. La peur avait totalement disparu de moi le jour où l’on m’avait enlevée à Paulette et à Lucien. Depuis cet instant, ma haine était devenue incandescente à chaque fois que quelqu’un avait prétendu décider à ma place de ce que je devais faire, de l’endroit où je devais me rendre, de ce qui était bon pour moi, de ce que devait être mon destin… Ti’Bob ne pouvait qu’ignorer cette disposition d’esprit qui faisait qu’à mes yeux, il était désormais condamné à plus ou moins long terme. Il devait me croire terrorisée, inquiète pour ma survie, pour mon intégrité physique. Il se sentait bien évidemment dans une position de force et ne pouvait imaginer que je le voyais déjà comme une proie, pas comme un prédateur.
Si la huche contenait une baguette ou un parisien trop ancien et trop dur, elle nous concoctait un "pain perdu" à se damner. Si ses placards étaient vraiment vides, nous nous contentions de fruits de saison ou de compote de pomme stérilisée qu’elle sortait, selon son expression, "de derrière les fagots". Mais elle répugnait à nous servir des gâteaux tout faits, bourrés de sucre et "inventés par quelques industriels de l’agro-alimentaire plus dans le but, prétendait-elle, de faire du profit et de vendre de l’emballage que dans celui de faire grandir les enfants et de leur apprendre à éveiller leurs papilles
Les goûters de Paulette étaient célèbres chez tous les mômes des Petites Dalles, qu’ils fassent partie des rares résidents permanents ou des nombreux vacanciers réguliers. Elle adorait improviser en fonction du nombre d’amis que j’avais conviés à venir jouer, que j’avais ramenés de façon impromptue ; improviser aussi selon ce qu’elle avait en réserve. Si le pain n’était pas suffisant pour un goûter "tartines", elle n’hésitait pas à sortir la farine et les œufs pour nous régaler de crêpes au sucre au léger goût de rhum
Bien sûr, nous savons qu’il faut "arroser" pour accélérer la procédure et récupérer le matériel dont nous avons absolument besoin, mais nous savons aussi qu’en tant qu’organisation humanitaire il nous est impossible de le faire avec autant de légèreté et de décontraction que les entrepreneurs privés. Si cela venait à se savoir, nos interlocuteurs locaux : gouvernement, opposition, ONG concurrentes, auraient tôt fait d’utiliser l’argument contre nous. Et c’est là que Richard intervient. Il sait exactement à quel moment et auprès de qui il faut se montrer généreux pour conjuguer efficacité et discrétion.
Je me sens inutile. J’étais toute fière ce matin d’arriver ici avec mes cartons d’antibiotiques et de médicaments en tous genres que j’étais enfin parvenue, après de longues mésaventures, à dédouaner et à faire sortir de la zone de transit du port où ils risquaient, à force de tracasseries administratives, de rester un bon moment, jusqu’à se périmer avant d’avoir pu être utilisés. Encore une fois, Richard a été prodigieux. La logisticienne en titre, c’est moi. C’est moi qui ai la signature, c’est mon nom qui figure sur les bons de livraison mais c’est lui qui sait comment agir. Difficile pour MSF de rentrer dans le jeu de la corruption.
Je ne ressentais aucune crainte, rien que de la colère. La peur avait totalement disparu de moi le jour où l’on m’avait enlevée à Paulette et à Lucien. Depuis cet instant, ma haine était devenue incandescente à chaque fois que quelqu’un avait prétendu décider à ma place de ce que je devais faire, de l’endroit où je devais me rendre, de ce qui était bon pour moi, de ce que devait être mon destin… Ti’Bob ne pouvait qu’ignorer cette disposition d’esprit qui faisait qu’à mes yeux, il était désormais condamné à plus ou moins long terme. Il devait me croire terrorisée, inquiète pour ma survie, pour mon intégrité physique. Il se sentait bien évidemment dans une position de force et ne pouvait imaginer que je le voyais déjà comme une proie, pas comme un prédateur.