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Critique de nilebeh


En chinois, le mot ami s'exprime à l'écrit par un idéogramme représentant deux mains dont les paumes se tournent l'une vers l'autre. Selon Confucius, « puisque l'amitié est libre et sans entrave, elle est la moins dommageable et la plus bénéfique des relations humaines. ».

C'est ce que découvre Michèle, jeune Québécoise en poste à l'université de Shenzhen (Hunan) où elle enseigne l'anglais à des étudiants et à des enseignants chinois. Elle découvre aussi que les profs roux, XXL de gabarit de type rugbymen ne font pas long feu sur le campus, contrairement aux Français ! Elle apprend plein de choses sur la vie en Chine, qu'on ne coupe pas les spaghettis parce qu'ils représentent l'éternité, qu'on ne manifeste pas son amertume (« elle se cuve sans rien dire »), qu'on respecte les parents qui nous ont mis au monde et les ancêtres. Qu'on fait tout ne pas faire « perdre la face » aux autres et surtout ne pas la perdre soi-même. Qu'on n'exprime pas ses émotions. Qu'intenter un procès au Parti est sans espoir.

Ce soir-là, elle devrait fêter son anniversaire avec son amie Shen Song qui, pour cette grande occasion, lui cuisine sa spécialité, le mapo dofu » : sur fond sonore de « Suzanne » chanté par Léonard Cohen (un autre Canadien). Song tranche les légumes, allume le feu et...tout saute !

Pendant ce temps, Michèle ayant opté pour l'amour au fond de son lit avec Feng, elle ignore tout du drame qu'elle n'apprendra que le lendemain, mortifiée et culpabilisée :Song est plongée dans le coma dans un obscur hôpital du Peuple (rien que le nom est angoissant...) l'Université ayant très peur d'avoir à prendre des frais en charge vu que le drame a eu lieu dans un logement de fonction entre ses murs. La pingrerie de l'administration chinoise va d'ailleurs être pointée du doigt à maintes reprises dans ce roman.

Song se bat vaillamment contre la douleur et les infections dont sa peau arrachée ne la protège plus. Ses parents, ses élèves, collègues et amis campent littéralement dans l'antichambre, entourés de tout un fatras d'objets. Cela devient « le camp Shen ». M. Shen est sûr que sa cuisine fortifiera sa fille bien mieux que celle, insipide, de l'hôpital. Alors il apporte des nids d'hirondelle broyés, « il misait sur le courage des hirondelles pour soutenir celui de sa fille ». Bave d'hirondelle et protéines de club sportif devraient faire des miracles. Pour ne rien négliger, Feng emmène Michèle faire une invocation à Guan Yin, la seule Immortelle femme (sur huit), protectrice des malades et des affligés. Deux adolescentes sont mises au service de Song, le docteur Limon la soigne avec une infinie patience et peut-être un peu plus.

Durant quatorze longs mois, Song se bat contre une douleur atroce, récupère peu à peu un semblant de peau grâce à de multiples opérations de greffes, toutes plus douloureuses les unes que les autres. Culture de parcelles d'épiderme, lit de sable, suspension entre sol et plafond, alimentation adaptée (tout ce qui fait baisser le feu du yang : l'amertume du foie de poulet, du poivron vert et de l'endive, la décoction de poires ; rien de piquant qui viendrait réactiver la chaleur, ni champignons, ni thé, ni bananes trop mûres, qui noircissent les cicatrices). Durant ce combat, elle est soutenue par la présence et l'amour indéfectibles de Michèle. Une relation très forte unit les deux jeunes femmes, faite de douceur, de tendresse, d'admiration réciproque, de confiance. Amour-amitié, la frontière est ténue, elle exclut seulement le lien sexuel.
Michèle est d'autant plus sensible à cette osmose que les Chinois la jugent « trop », trop émotive, trop expansive dans son chagrin, trop insistante dans sa présence permanente. Trop tout !
Sa relation avec Feng se délite tandis que Song peu à peu gagne son combat et part pour un sanatorium, loin de Shenzhen. Alors Michèle doit bien se rendre à l'évidence : elle doit, à son tour, affronter sa vie, sa vie est là où elle se trouve, lui dit sa mère depuis Montréal. Alors, à elle de bâtir, le lien avec Song restera immuable, à distance.

Un beau roman (autobiographique?) sur l'amitié entre deux femmes, la sororité plutôt, qui dépasse les clichés sur la différence culturelle, sur le combat pour la vie, sur le deuil aussi, deuil ce que qu'on a été et qu'on ne sera plus jamais.
Le tout écrit en une langue limpide et agréable, parsemée d'expressions québécoises (« Song a pris du mieux » : elle va un peu mieux).

Si je ne devais retenir qu'une belle image, ce serait la métaphore du bol japonais en porcelaine, restauré grâce à de la poudre d'or qui en fait un objet encore plus beau, plus fort, plus solide et qui va de nouveau jouer son rôle de bol : les cicatrices de Song l'auront renforcée, lui auront rendu la vie, avec plus de grâce, plus de solidité. Une autre Song est née.

Merci infiniment aux éditions « Marchand de feuilles » au Québec, qui m'ont permis cette belle découverte.

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