AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de karmax211


Relecture de ce roman noir c'est noir... il n'y a plus d'espoir.
C'est une oeuvre cathartique, en ce sens que je la convoque à mon secours lorsque la vie pèse d'un fardeau dont mes épaules voudraient se défaire sans le pouvoir, et lorsque Siméon ( le personnage central ) pénètre dans le trou du cul de l'enfer, je me dis qu'après tout j'en ai connu bien d'autres dans ma vie et que toute la pluie qui tombe sur moi ne durera pas seize mois et ne cèdera pas sa place à quarante mois d'un froid et d'un gel d'outre- tombe.
Et je commence à me réchauffer, croyant... pauvre fou, qu'il ne peut exister dans les limbes de l'univers... qu'un seul Siméon.
Siméon, c'est un jeune homme qui débarque un jour de pluie dans un endroit lugubre qu'on appelle " la vallée ".
"Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l'automne."
Il franchit "la porte maudite"... j'extrapole... au-dessus de laquelle auraient pu être écrites en caractères noirs ces quelques lettres :
"Toi qui entres ici abandonne toute espérance."
Mais c'est le contraire, même dans ce petit bourg abandonné du diable, où les cinq sens humains ne sont nourris que de laideur, de puanteur, de douleur, Siméon qui arrive d'un passé de deuils et de traumas, croit trouver en ce lieu, la paix qu'il quête depuis toujours.
Lui qui vient du désert qui assèche les coeurs et les corps, d'un soleil qui ne concède jamais la moindre goutte de pluie à la terre et à ceux qui la peuplent, cette vallée n'est pas celle des larmes mais d'une eau purificatrice et nourricière ; le puits où se cachait la vérité qu'il recherchait.
C'est pourquoi, c'est d'un oeil naïf et "virginal" qu'il voit cette vallée.
Et si tout n'est pas parfait, lui l'homme de lettres, "le savant", "l'écrivain" va en écrivant un livre, dont l'auteur nous livre quelques rares extraits, offrir un avenir meilleur à ces miséreux, ces oubliés.
C'est du moins ce que, dans sa bonté innocente, il se persuade.
« On vous a dit, je crois, que je suis écrivain et, à ce titre, j'ai droit à vos égards, car comme vous tous, je travaille à mains nues. Je façonne mes mots, avec des voyelles et des consonnes que j'accroche les unes aux autres, un peu à la façon du vannier. Mais avec mes petits paniers, mes corbeilles, j'essaye d'attraper la beauté. »
Ces "gueux" sans instruction, ces animaux-humains, qui ne produisent que des lentilles dont ils fabriquent un alcool... le seul remontant qu'ils possèdent pour s'extirper de leur trou, sont les naufragés d'une terre noyée sous un déluge de 16 mois et d'une mer de glace de quarante mois.
Ils ne vivent pas, ils survivent.
Ils ressemblent à leurs ancêtres du haut Moyen Âge... ou venant de plus loin encore dans les dédales capricieux du temps.
Ils sont laids, crasseux, "cassés" comme on le chante aujourd'hui.
Le prix de leur survie leur coûte cher : le coût d'un bras, d'une jambe, d'un oeil pour la plupart d'entre eux.
Ils ont peu d'animaux.
Les seuls qu'ils possèdent sont malingres, rachitiques ou malades.
C'est au milieu de ce décor que Maurice Pons fait vivre une galerie de personnages plus pittoresques les uns que les autres.
Il y a "l'aubergiste", une femme de cent trente kilos qu'on appelle " la veuve Ham "... "un jambon de cinq tonnes au corset monstrueux".
Deux douaniers-gendarmes assurent les affaires courantes.
Le chef est bête et borné, son adjoint stupide et sadique porte le sobriquet "d'escladoss"... prononcez-le d'une certaine façon et vous comprendrez pourquoi sa manie, son plaisir est d'écraser sous ses pieds tout ce qui se trouve à leur portée.
Il y a le "Croll", un géant alcoolique plus ou moins forgeron, qui vit avec un âne.
Le Croll fait office de médecin, de rebouteux, de vétérinaire, de sage-femme...
Il y a Clara Dodge, une jeune femme maigre qu'un soir Siméon aperçoit nue chez elle faisant sa toilette et dont il s'éprend aussitôt.
Et pour cause !
« Jamais je n'oserai l'avouer à quiconque : les seules femmes que j'aie jamais vues entièrement nues étaient mortes. C'étaient les cadavres décharnés que les prêtres tiraient par les pieds hors du camp et faisaient jeter dans les fosses. Qu'on me comprenne. Par les barreaux de la cage, affamé, desséché, sonné par la brûlure incessante de ce soleil-enfer, je regardais passer ces blancs corps de femmes, meurtris, souillés, morts, avec leurs mamelles pendantes, avec leur toison grêle au ventre, comme un gazon noir obstiné à pousser dans ce désert… Quand elles passaient devant moi, elles faisaient s'élever une poussière de sable blanc asphyxiante. Les quintes de toux me reprenaient, me vidant jusqu'aux entrailles. Mais je voulais voir, je me meurtrissais le visage aux grillages brûlants, je voulais voir, pour ne jamais oublier, pour pouvoir dire un jour — et je le dirai… »
Le village a un Conseil... avec des règles... eh oui ! ... un ersatz de trône-tribune et un "ancêtre référant"... le buste sculpté d'un amiral, dont personne ne sait comment il est arrivé là... mais que tous respectent et "vénèrent".
C'est convoqué par ce Conseil que Siméon va se faire connaître, et qu'impressionnés par son savoir, les villageois vont lui confier la charge du pluviomètre...
Je vous laisse découvrir le reste de l'oeuvre, mais d'ores det déjà le décor est planté.
En tous les cas, vous avez une petite idée de qui est qui.
En faisant référence à Dante, vous avez compris que nul espoir n'est permis et que l'illusion se paye au prix fort... celui de la vie.
Pourquoi ce livre est-il fascinant outre le fait qu'il est écrit par une plume brûlante de talent et d'un imaginaire absolument génial ?
Je crois que c'est parce qu'il surprend, séduit, interroge en laissant au lecteur le choix de ses réponses, qu'il ne concède rien à une vie dont on sait que l'enfant que nous sommes "hier encore chérubin chez les anges... par le ver du linceul est d'emblée piqué sous ses langes".
J'appartiens à cette confrérie qui place cette oeuvre très haut dans le domaine de la création littéraire... une place inclassable mais qu'on peut difficilement lui contester.
Il faut lire ce livre et consentir " à suivre le sentier qui ne mène qu'au coeur ensanglanté de nous-même, source et sépulcre du chef-d'oeuvre."
Ce livre nous dit tout de la vie.
Libre à chacun de le croire ou de s'entêter à continuer de s'agripper à la bouée dégonflée de l'illusoire.
Je laisse les derniers mots à l'auteur.
“Adieu ! Je vous laisse tout : les tapis, le trésor. Car, avec rien, je suis plus riche que vous tous. Lorsque vous saurez que vous ne savez rien, alors vous commencerez à savoir...”
(Maurice Pons)
Commenter  J’apprécie          414



Ont apprécié cette critique (41)voir plus




{* *}