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Critique de HordeDuContrevent


« Tout est vraiment pourri dans le royaume de Pourriture ! »… Mais, l'herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ?

Conte burlesque et fantasmagorique, fable monstrueuse et fellinienne, « Les saisons » de Maurice Pons a imprégné mon esprit et enlacé mon âme avec son ambiance totalement dantesque qui est de celles qui forgent une mémoire et l'habitent durablement.
Le grotesque côtoie le merveilleux, le burlesque se conjugue au vulgaire, l'imaginaire se pare de robes d'un noir éclatant, aux reflets gothiques, dont les bords s'effilochent en lambeaux noirissimes.
Tour à tour enchantée par la poésie du récit, puis aussitôt écoeurée tout autant que fascinée, littéralement, par des scènes d'une violence ou d'une laideur abjecte, par les odeurs et les visions de putréfaction, ahurie et amusée par son côté burlesque et drolatique, pour enfin être profondément attendrie par la pureté du personnage dans ce monde brutal et injuste, ce récit ne peut laisser insensible tant il sait, avec une réelle virtuosité, convoquer une large palette de sentiments et de sensations.

Maurice Pons par le biais de son « héros » Siméon, si tant est que nous pouvons appeler ce pauvre bouc émissaire un héros, nous convie dans un pays imaginaire dans lequel seules deux saisons coexistent, deux saisons rudes, celle des pluies et celle du gel, en dehors de nos repères habituels d'une année à douze mois. Lors de la saison du gel, le pays est bleu de glace, pétrifiant les éléments, et dure quarante mois, quarante mois sans une goutte d'eau et où « le gel est la pire des sécheresse ».
Lors de la saison des pluies, dite la saison pourrie, de quarante mois également, les pluies sont incessantes, drues, abondantes, les gouttes tombent sans discontinuer, fines le matin pour devenir grosses et grasses au fur et à mesure de la journée, transformant le territoire en un pays de boue et de moisissures. Durant la saison des pluies, les habitants n'ont pas le droit d'avoir un animal chez eux alors que durant la saison du gel les animaux constituent leur chauffage, portés à même leurs corps, quitte, même, à se les mettre dans leur culotte. Chacun se trouve une bête où il peut et comme il peut.

Nous sommes loin, très loin, de ce que le titre, bucolique, peut laisser penser, à savoir un livre sur la diversité et l'alternance des saisons et leurs beautés et plaisirs respectifs. Point de boléro, pas de printemps ici, pas d'herbe tendre, pas de petites fleurs, pas de soleil et de végétaux luxuriants…Maurice Pons nous plonge la tête dans un endroit qui ressemblerait aux pires de nos cauchemars, à l'enfer, ou disons, pour reprendre l'idée excellente de Paul le Caméléon avec j'ai lu ce livre en lecture commune, au purgatoire.

« L'hiver était venu dans la nuit. En quelques heures, comme à l'accoutumée, le pays tout entier se trouva pétrifié par le gel, balayé par un vent sec et violent qui descendait des montagnes. Entre les maisons, le chemin détrempé se trouva changé en une rivière de glace bleue vive et des glaçons, gros comme des pieux, arrachés par le vent, s'y brisaient dans un éclat de métal ».

Siméon est un exilé qui a vécu certaines atrocités dont il est fait furtivement allusion, et qui se cherche une nouvelle terre d'accueil. Bon de coeur et d'âme, patient, pur, optimiste, il est également terriblement laid avec son «teint basané, mais sale sous la barbe vieille. Il avait plus d'une paume de distance entre ses gros yeux et un nez proéminent qui lui donnait l'air triste d'un vieux bélier. Les sourcils lui mangeaient le front et le visage ».
Il arrive un matin dans ce pays sous des trombes d'eau, c'est en effet la saison des pluies.
Le peuple rencontré est rustre, alcoolique - dès la première enfance les petits suçotent des chiffons imprégnés d'alcool de lentilles - vulgaire, grossier, illettré, et chacun, plus ou moins, souffrent de tares, à en juger par la présence de boiteux, de bossus, d'unijambistes, de mongols, de manchots et de culs-de-jatte. Il faut dire que le « médecin » du coin, le mage guérisseur plutôt, dénommé le Croll, ne lésine pas sur les moyens expéditifs pour soigner ses patients. Ses méthodes barbares pour amputer, percer les ulcères, vider les poches de pus, désassembler des corps enchevêtrés et coincés l'un dans l'autre en position post-coïtus, m'ont parfois donné des haut-le-coeur, les scènes de soin s'apparentant davantage à des scènes de boucherie que de médecine.

« le Croll ronflait puissamment sur sa couche de fagots, le ventre à l'air, énorme, indifférent au manège de l'âne qu'il avait installé chez lui pour l'hiver et qui lui broutait des branchages jusque sous les pieds. La bête avait répandu des crottins dans toute la demeure ; certains fumaient encore et l'atmosphère était douillette ».

L'activité préférée de ces étranges habitants est de boire tout en se pressant et se crevant les points noirs du nez…c'est aussi d'assister publiquement à tout ce qui a trait à l'intimité des femmes, et si c'est scabreux et inhumain, c'est mieux : fécondations, dépucelages, avortements, césariennes…
Autant vous dire que l'accueil qu'ils vont réserver à Siméon, différent et plus intellectuel, sera des plus impitoyables, l'estropiant dès son arrivée, le forçant à se nourrir exclusivement de lentilles noires, le reléguant dans une pièce exigüe et sale faisant office de chambre, puis finissant par l'accepter, bon an mal an, en lui confiant notamment une tâche absurde. Siméon vit toutes ces brimades comme des rituels d'intégration un peu durs qu'ils couchent sur papier avec amour et recul, sagesse et résignation, car notre homme veut devenir écrivain. Il veut faire de toute cette boue, de l'or. Au point de se sacrifier physiquement me faisant penser au Christ. Au point de devenir comme eux.

« Je ne suis pas venu vers vous pour prendre mais pour donner et si démuni que je sois, vous ayant laissé déjà plusieurs orteils, un pied presque entier et bientôt, je le crains, une main (une nouvelle fois, sur ces mots, Siméon tendit vers ceux qui l'écoutaient la plaie sanglante de sa paume), je voudrais vous laisser, à défaut d'un livre, une sorte de monument exhaustif, qui perpétuerait mon passage parmi vous… ».

L'art comme moyen de transformer la laideur en beauté, la réalité en idéal, c'est en effet par les mots et leur agencement, mais pas seulement on le devine par la citation précédente, que Siméon veut procéder à cette transformation. Il faut dire qu'il est servi tant les situations sont ubuesques et tant les personnages sont marqués d‘un réalisme magique rendant le récit captivant : la petite Louana, mongole, est une sorte de chaperon remplie de malice et d'audace qui saura le guider et même lui sauver la vie, Clara, dont il tombe amoureux, est une maigre et frêle femme, toujours attifée d'une toute petite robe rose mais dont la fragilité cache une fine connaissance de la biologie reproductive, le Croll est une force de la nature, un guérisseur, un rebouteux aux méthodes d'une inventivité folle et terrifiante semblables à des méthodes de torture, L'aubergiste, la veuve Ham, est une femme énorme souffrant d'éléphantiasis aux moeurs douteuses, la doyenne du village une sorte de monstre fantomatique…A travers l'horreur de ses aventures, l'horreur de ses rencontres, Siméon veut atteindre la beauté, celle qui va purifier le monde. Il veut l'offrir à ce peuple qui l'a pourtant brimé…la référence biblique est évidente, d'autant plus que le Croll l'appelle « mon petit agneau » qui n'est pas sans rappeler la figure de l'agneau sacrificiel. le déluge et l'exode sont également convoqués comme une réinterprétation des grands moments bibliques.
Nombreuses références bibliques donc mais également références mythologiques ponctuent le récit telle cette Vénus sortie des eaux lorsque Clara est découverte en secret par Siméon, sortant des eaux après son bain, celui-ci en tombant alors profondément amoureux.


La force de ce livre réside dans la vision du monde proposée qui est tout simplement inoubliable, inclassable, décalée. Les thèmes soulevés, rejet de l'étranger, opprimé et bouc émissaire, rejet de la beauté dans un monde trop pragmatique et fermé à tout changement, attirance pour un ailleurs fantasmé, sont certes classiques mais cette manière de les relater avec autant de burlesque et de poésie d'une noirceur à vous couper le souffle, avec ces nombreuses références bibliques et mythologiques, rend le livre complètement unique, hypnotique, culte ! Un chef d'oeuvre !

« Je suis écrivain [...] je travaille à mains nues. Je façonne mes mots, avec des voyelles et des consonnes que j'accroche les unes aux autres, un peu à la façon du vannier. Mais avec mes petits paniers, mes corbeilles, j'essaye d'attraper la beauté ».

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