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Critique de ODP31


Dans son carnet d'impressions, Joseph Ponthus invente une nouvelle langue, cadencée au rythme des machines qui conditionnent autant les bestioles qui traversent les lignes de production que les ouvriers qui les alimentent de leur force de travail.
Pas de rimes pour ceux qui dépriment, des vers libres pour des femmes et des hommes emprisonnés dans des vies d'automates jetables.
L'auteur, de formation littéraire, est aussi peu préparé à ces métiers pénibles que les vaches qui franchissent le portail des abattoirs. Il a quitté son métier d'éducateur spécialisé et sa région par amour, compétence d'aucune utilité sur un CV.
Il passe par une agence d'intérim, club de rencontres professionnelles sans lendemain, coups d'un soir, d'une semaine ou d'un mois et il enchaîne les expériences. Trieur de crevettes, dépoteur de grenadiers, égoutteur de tofu, pelleteur de bulots, agent d'abattoir, des intitulés presque poétiques si leur exercice ne détruisait pas le dos, si le froid des usines ne tétanisait pas les muscles et si les odeurs des abats n'engourdissaient pas les cerveaux.
Et puis, il y a eu aussi la préparation des poissons panés. Je suis alors tombé de mon confortable fauteuil Club bourgeois. Mon père m'avait donc menti quand, petit bonhomme, il me disait qu'il pêchait des poissons rectangulaires sans arêtes pour que j'accepte de les avaler, la chapelure gorgée de jus de citron… Un mythe s'effondre.
Ce roman est un journal de bord, de survie en milieu hostile, pas une enquête sociologique universitaire, genre « Prolo vue du Ciel ». Y.Arthus-Bertrand pourrait survoler pendant des heures avec son hélicoptère les usines de production, jamais il ne parviendrait aussi bien que Joseph Ponthus à décrire à la fois la souffrance au travail et la fraternité unissant ces ouvriers.
L'écriture sauve l'auteur, avec la complicité de la littérature. Sur la ligne, pour tenir, supporter le temps qui passe et la répétition des gestes, il se récite sans cesse les vers de ses poètes préférés, repense à ses classiques et masque le bruit des machines en chantonnant du Charles Trenet.
Ce texte m'a chamboulé. Outre cette vie quotidienne de l'usine si bien carnée et incarnée, certains passages sont d'une rare beauté. Je ne citerai pour l'exemple que la relation si pudique entretenue par l'auteur avec sa mère.
Je me suis moins retrouvé dans quelques envolées Zadistes, convictions parasites du livre, mais elles ne constituent pas l'âme de l'ouvrage et toutes mes pensées restent attachées à ces personnes qui exercent encore aujourd'hui ces terribles métiers.
Pourquoi n'offrir que cinq petites étoiles à cette oeuvre qui mériterait une manif de constellations ?
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