Citations sur Assez marché Estelle danse maintenant (24)
Il règne une certaine bienveillance entre nous malgré nos différentes couleurs de peau. Aucune de nous ne s’occupe de cette différence, nous sommes copines point !
Tout le monde connaît tout le monde, du moins sait dans quel immeuble chacun habite et où se trouve ses fenêtres sur les façades. Ce « dehors » est comme un immense jardin ou tous les enfants se retrouvent et jouent ensemble sauf que le jardin est une dalle de béton... Ainsi va la vie en cité.
À l'époque il est impensable qu’une femme seule puisse être enceinte. L'avortement n'est pas autorisé en France et de toute façon ma mère est contre, bien que... bien qu'elle me balancera, à l’aube de mes 40 ans et avant que je ne mette un terme définitif à notre relation, que « si elle avait su la personne que je deviendrais et si l'avortement avait été légal à cette période-là elle aurait avorté ». Boum ! Prends-toi ça dans la tronche Estelle !
Une fois au lit, dans le noir, j’entends ma mère et ce type s’embrasser. Puis ils ont une relation sexuelle. Ok, je ne suis qu’une petite fille d’environ huit ans, mais les bruits de soupirs que j’entends ou le frottement des corps dans les draps sont sans équivoque. Ma mère n’a pas l’air d’apprécier plus que ça ces galipettes. L’homme lui murmure un « chut » pour qu’elle se taise. Je sens bien que la situation est anormale mais qu’est-ce que je sais des choses anormales hein ?! Mes yeux s’habituent au noir, je distingue ma mère se relever du lit un peu énervée.
Le « je m'en foutisme » de ma mère à mon égard m'a souvent interrogé durant mon enfance. Pourquoi ne s'occupe-t-elle pas de moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi n’est-il pas là ? Suis-je une enfant illégitime ? Celle qui rappelle un mauvais souvenir, un mauvais moment ou une mauvaise vie peut-être... Il paraît que les fées se penchent sur les berceaux des bébés à la naissance, elles ont dû oublier le mien !
Il y a toujours une oreille bienveillante pour vous écouter et si vous êtes seul ce n’est pas un souci l’oreille qui vous écoute est souvent la même qui vous sert derrière le comptoir.
Je me rappelle du froid hivernal et de la nuit encore présente quand débute ma marche matinale. Mais qu'importe j'aime aller à l’école, j'y retrouve mes copines et je m'y amuse. Je ne suis pas la meilleure élève loin de là et les devoirs à la maison sont secondaires. En réalité, je n’ai pas trop le temps de m’y attarder.
Et s’il y a une chose dont je me souviens et qui a eu l'effet d'une bombe, c'est bien le regard de ce policier. Ce fameux regard plein de tristesse, d'empathie et de désarroi qu'il aura pour moi et dont je me souviens parfaitement même après toutes ces années. Et pour cause, il a face à lui une gamine de sept ans en pyjama (décidément !) qui vient de marcher pendant plusieurs kilomètres en pleine nuit après une énième dispute conjugale. Cette dispute plus forte que les autres m'oblige, comme à chaque engueulade à vrai dire, à me glisser dans le lit de Jean-Pascal pour trouver du réconfort et m'endormir entre les cris.
Je me souviens encore de cette sensation d’abandon. Petite, je me suis souvent sentie abandonnée. Abandonnée par tous ces adultes, père, mère, chéri de ma mère... et maintenant, médecin et infirmière. Décidément les adultes !
La vie aurait dû être un long fleuve tranquille dans ce pavillon. Pourtant, je ne finirai même pas mon année scolaire. J'aime cette vie simple et tranquille bien loin des immeubles. Dans l’autre ville, il n’y a que du béton et des gens aux regards gris. Ici c’est différent, il y a de la verdure et personne ne m’embête.