La vie s'écoule comme elle peut au fin fond de la ville, sans bus et sans aucun commerce. Le studio est très reculé du centre et sans voiture tout est si loin. Dans cette petite résidence vivent des personnes assez discrètes et aucun enfant, personne pour jouer avec moi le week-end. Je m'ennuie terriblement le week-end... enfin pas longtemps, ma mère est enceinte. Une petite sœur va arriver et « il va falloir que je l'aide ».
Quand j’aurai mes premières règles, elle se contentera juste de me dire « maintenant terminé les copains ! » sans un mot de plus. Heureusement que les copines m'avaient tout expliqué en amont sur cette période menstruelle. Merci les filles, j'aurais été paniqué à la vue de ce sang dans ma culotte. C’est elles qui m’apprendront ce qu’est « d'avoir ses règles » et ce qui se passe dans le slip des garçons quand une fille lui plaît. Je grandis certes, mais je suis mal à l’aise avec ce corps qui change. Ces rondeurs naissantes m’incommodent. Elles provoquent des regards gênants, des regards que je ne comprends pas, des regards inappropriés pour mon jeune âge.
Pour la fin de l’année scolaire, je participe à la pièce de théâtre... enfin c’est plutôt un opéra rock. Un spectacle avec des musiques modernes sur un fond d’histoire d’amour.
Ce genre de mièvreries, c’est dans les livres pas dans la vraie vie ! J’aime lire... beaucoup. Lire me permet de m’échapper de cette vie. Ça me permet de rêver un peu ces histoires de princesses qui se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
J’aime écrire aussi. J’écris des lettres enflammées à Laurent, enfin enflammées pour mon âge. Toutes les pages du mercredi de mon cahier de texte en sont pleines. Je les écrits pour moi, personne ne les lira. Écrire est une activité silencieuse qui me permet de crier sans faire le moindre bruit... ou de pleurer sans renifler. J’aime écrire des belles histoires, mais écrire n’est pas un vrai métier : « Écrire ? Écrire quoi ? C’est pas un vrai métier ça ! Trouve-toi un vrai métier, un métier qui paye les factures, on verra la suite après ! ».
Rares sont ceux qui se demandent ce qu’une gamine fait dans ces lieux enfumés qui sentent la bière et le désespoir. Certains me saluent poliment, d’autres m’ignorent. Qu’importe, Alain m’embarque dans toutes ses tournées des cafés. Parfois, je joue sur le trottoir pour passer le temps et parfois, il me donne de l’argent pour m’acheter des bonbons... histoire de passer le temps autrement.
Et s’il y a une chose dont je me souviens et qui a eu l'effet d'une bombe, c'est bien le regard de ce policier. Ce fameux regard plein de tristesse, d'empathie et de désarroi qu'il aura pour moi et dont je me souviens parfaitement même après toutes ces années. Et pour cause, il a face à lui une gamine de sept ans en pyjama (décidément !) qui vient de marcher pendant plusieurs kilomètres en pleine nuit après une énième dispute conjugale. Cette dispute plus forte que les autres m'oblige, comme à chaque engueulade à vrai dire, à me glisser dans le lit de Jean-Pascal pour trouver du réconfort et m'endormir entre les cris.