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Critique de PhilippeCastellain


Mesdames et messieurs, chapeaux bas devant un monument. Il y eut un avant et un après ‘Gaspard des montagnes'. Avant, la littérature française était essentiellement une affaire parisienne. Les salons, les libraires, les éditeurs, les jeunes écrivains ténébreux avec une mèche dans les yeux, les vieilles gloires aux ventres rebondies et à l'ironie mordante, les cocottes et les courtisanes, tout cela on ne le trouvait qu'à Paris. Pour être publié, on venait à Paris. Les petits provinciaux qui avaient le culot de prétendre écrire depuis leur hameau de Lyon ou Bergères-les-Vertus, au mieux, ils amusaient. Puis, depuis Ambert (oui, là où on fait la fourme) un dénommé Henri Pourrat publia ‘Gaspard des montagnes', et rafla des prix par douzaines.

Très novatrice, l'oeuvre se place au coeur de la paysannerie auvergnate du début du XIXème siècle. Les Granges, une famille de paysans en cours d'embourgeoisement, reçoivent des nouvelles bizarres de leur oncle installé aux Antilles. Parallèlement, on constate d'étranges allées et venues de particuliers peu recommandables un peu partout dans la région. Un soir, les parents sont obligés de laisser seule à la maison leur fille ainée, Anne-Marie. Seule dans la grande maison vide, la jeune fille n'est guère rassurée. Elle finit par aller se coucher, mais ne trouve pas le sommeil. Au beau milieu de la nuit, un craquement, des frôlements. de sous un lit où il était caché, un homme sort…

L'histoire, qui s'étale sur une décennie environ, retrace la lutte de la famille Grange contre une alliance de grand bourgeois et de petits voyous décidés à les dépouiller. Pour les assister, ils font appel à leur cousin Gaspard de Surmontagne, dit Gaspard des montagnes. Bien bâti, courageux, plein de ressources, il prend les choses en main… Mais de façon très intéressante, le livre adopte peu son point de vue, mais en majorité celui d'Anne-Marie. Depuis sa nuit terrible, elle vit dans la peur. Et elle ne sait même pas ce qui se passe. Tout ce qu'elle sait, c'est que de temps en temps Gaspard prend quelques amis aussi solides que lui, qu'ils disparaissent des jours entiers dans la montagne, et reviennent harassés et couverts de plaies et de bosses…

Gaspard, on le suit essentiellement quand il est avec Anne-Marie, ou qu'il pense à Anne-Marie. Mais de toute façon, les guerres napoléoniennes font rage. Conscrits, lui et ses camarades partent pour l'armée, laissant là la terre qui les a vu naitre, leurs belles amies, et les malheurs des Granges… Ils n'en reviendront que bien plus tard (en années et en chapitres). Sans perte, par extraordinaire, mais non sans casse en eux-mêmes. Et quant à ce qu'ils retrouvent… On part se battre pendant des années, quand on revient, c'est pour trouver ses parents au cimetière, le toit de sa maison effondré, et sa fiancée mariée à un autre. Mais ce n'est rien en comparaison de ce qui entre temps est arrivé aux Granges…

L'oeuvre est une fabuleuse et incroyable plongée dans la vie paysanne du XIXème siècle. En la lisant, vous découvrirez comment ont vécu vos ancêtres, ce qu'ils mangeaient, comment ils travaillaient, mais aussi ce qu'ils pensaient et ce qui les inquiétait. La fidélité historique est incroyable – à tel point que beaucoup de mots ne nous sont plus intelligibles, soit qu'un autre les ait remplacés, soit que ce qu'ils désignaient (parmi les objets de la vie quotidienne notamment) ait disparu. C'est une peinture rigoureuse, sans parti pris ou passéisme.

Elle est particulièrement intéressante pour la condition féminine, à travers la pauvre Anne-Marie. On découvre les multiples responsabilités d'une maitresse de domaine (le maitre gère tous les biens en dehors des murs ; son épouse, ou sa fille s'il est veuf, en les murs) ; son exposition permanente au qu'en-dira-t-on, ses moindres faites et gestes étant scrutés par les commères du bourg ; et le peu de pouvoir et de considération qu'elle reçoit en échange : en ce qui concerne le mariage ‘'une fille consent en disant non'', estime son père.

Un livre magistral, fruit d'un gigantesque travail, qui mérite de ne pas sombrer dans l'oubli.
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