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Critique de NicSirkis


Belle Lurette d'Hélène Pradas – Article d'un jour de neige.

« Un anniversaire, cela se fête dans des bulles, non dans des vagues », cette petite phrase murmurée par Charles, au mitan de ce roman d'Hélène Pradas, justifie la douceur du titre, Belle lurette, et la tendresse des aquarelles de la vie d'Anah, peintre octogénaire qui nous apprivoise au long d'un récit ponctué au fil des heures, et des quarts d'heure, par sa pendule.
Hélène Padras a situé ce petit bijou entre les bulles de souvenirs du Maghreb qui remontent de l'enfance de son héroïne et les vagues océanes de la Bretagne où se termine son existence. On navigue avec elle entre les berges de l'Atlantique et celles de la Méditerranée, ces rivages qui enveloppent le coeur de sa vie, enclos dans les villages parisiens de la capitale.
Anah avait anticipé le conseil de Charles, le fidèle ami: « On ne plonge pas dans un amour comme un sucre dans une tasse de café chaud. On se dissout sinon. »
Femme-caméléon aux facettes rassemblées dans le prisme de ses couleurs, Anah ne s'est pas dissoute car les couleurs ne disparaissent pas, parfois plus belles quand elles s'atténuent et que tout se recompose. Bleue dans les yeux du père, brun or dans ceux d'Yvon, rouge sous les paupières de Luc, cette « femme de bruine et de brume » trace devant nous dans ce récit l'ultime autoportrait de la vie traversée du « souffle de ses yeux ».
Canotant d'une teinte à l'autre, parfois mélancolique, dans l'unité de temps d'une journée – celle de son quatre-vingtième anniversaire – l'écluse du passage des âges – elle compose sans fard ce roman-tableau, bilan de ses « quand même »...
Anah sait aujourd'hui que les imperfections de la vie dessinent en silence la force d'aimer. Et si l'enfance et la vieillesse se tiennent la main dans de fragiles avancées, femme entre Jules et Jim dans le tourbillon de sa vie, elle dessine au seuil de la mort l'estampe apaisée d'une forme de sagesse et de fougue mêlées.
Ce livre magnifique fait écho au film de Miguel Gomes - « Tabou » - dans lequel Aurora, la vieille lisboète, confie à Pilar, voisine de palier, ses secrets de femme. Complicité féminine retrouvée ici entre Anah et Jeanne qui l'aide au ménage. Dans ces deux récits en abyme… le passage de témoins parallèles d'Aurora et d'Anah vers leurs filles. Passages… Walter Benjamin, l'auteur berlinois promeneur des « passages », aurait déambulé dans les pages de Belle lurette au côté d'Hélène Pradas dont « la présence [était] ici, dans la ville, dans les rues contenant les passages »…
« Je suis la finitude » ainsi se définit Anah - celle qui même entourée reste seule -, artiste des paradoxes qui cherche en même temps « le pays où jamais ne prend fin ce que l'on a aimé. »
Cet anniversaire a des airs de ménage de Jeanne, nous confie-t-elle, soulevant les souvenirs, balayant l'inutile, ravivant au grand air les couleurs de l'histoire. […] J'ai peint aujourd'hui un livre d'images, mon jardin intérieur, espace habité de présence, seul témoin de mon passé, venu chatouiller ma peau, mes souvenirs, geste simple de chemin lointain, dessin d'enfant mûri par l'âge. Comme Siri Hustvedt, la romancière de Brooklyn auteur de l'essai sur la peinture « Les mystères du rectangle », Anah-peintre, est « une femme qui tremble »… ses « tableaux bien trempés ».

Lien : http://chevre-feuille.fr
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