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Critique de LeScribouillard


Si vous ne pensez pas que l'humour puisse être extrême au même titre que la violence ou le plaisir, c'est que vous n'avez jamais lu Terry Pratchett. le genre d'auteur britannique qui, avec sa monumentale saga "Les annales du Disque-monde", s'amusait à se lancer dans des délires perdant parfois complètement le lecteur, multipliant les justifications pataphysiques, voire pas franchement cohérentes entre elles. J'avais fini par lâcher l'affaire après le souk absolu qu'était "Procrastination", et je me suis enfin décidé à terminer la saga avec les quelques tomes qui me manquaient, histoire de garder de côté quelques livres-doudous. Autant vous dire que je n'attendais rien du "Régiment Monstrueux", qui s'annonçait comme un tome random mais ultra-codifié de plus, abordant des thèmes déjà brassés de longue date par le maître : guerre, nationalisme, égalité des sexes... Et il s'agit en fait probablement d'un des tomes, sinon LE plus réussi.
Car Pratchett laisse tomber la plupart de ses délires pour se concentrer pleinement sur l'histoire, et montre enfin aux derniers clampins qui ne le croyaient pas encore que non, c'est pas parce qu'il amuse la galerie qu'il est là pour niaiser. C'est bien simple : ce livre peut se lire comme un roman de light fantasy "normal", c'est-à-dire n'allant pas aussi loin dans l'humour anglais comme le fait le reste de la saga. Il constitue une porte d'entrée idéale, quand bien même il restera bien un ou deux gags que vous ne comprendrez pas. C'est l'occasion pour Pratchett de réitérer sa satire des carnages au nom de la patrie, qui avait déjà donné le sanglant (mais pas dans le sens où vous le pensez) "Va-t-en-guerre" : encore plus minable qu'Ankh-Morpork, voici la Borogravie et ses habitants irascibles, sorte d'arrière-pays d'Europe de l'Est où l'on ne fait rien d'autre que se taper dessus et mourir de faim. Tout transpire l'absurde : la religion, le culte de la personnalité des tyrans locaux... mais ça n'est jamais au centre du récit et toujours effectué de manière suffisamment fine pour qu'on puisse d'un côté trouver ça amusant et de l'autre crédible et inquiétant. Une empathie se créée ainsi pour l'héroïne Margot Barette, qui tente de s'engager au front dans un monde d'hommes, et c'est l'occasion inespérée pour l'auteur de nous déballer une trouzaine de personnages féminins à la fois forts ET avec une psychologie complexe et travaillée. Tous deviennent peu à peu attachants et on finit par les suivre comme dans une bonne série. le récit ne se contente plus ici d'alterner entre loufoquerie et sérieux, les deux états cohabitent en permanence dans une même ambiguïté : on les aime, on tremble, on vit la violence au plus près d'eux. Et ce sans jamais cesser de rire.
Ce qui semble à la base une fable antimilitariste s'avère d'ailleurs plus complexe qu'à première vue. Si Pratchett condamne la guerre, il n'en est pas moins que celui-ci ne croit pas en une solution non-violente mais en la MOINS violente possible : aussi les généraux incapables de diplomatie précipitent l'armée à la ruine quand son rôle serait justement d'empêcher les conflits, comme finira par le faire Margot en prenant du galon... dans une fin là encore extrêmement ambigüe. Combattre nous rend-t-il forcément insensible et fourbe ? le problème n'est pas là : le problème est qu'il faut combattre.
Alors certes il y a bien deux-trois défauts, comme un rebondissement et une blague répétés ad nauseam, mais toujours de la manière et au moment où on s'y attend le moins, ce qui les rend au final beaucoup plus acceptables. Certaines décisions militaires semblent improbables, bien qu'on soit dans un récit humoristique ; à vrai dire, une seule m'a paru vraiment hasardeuse car venant de l'ennemi. Un point que je ne peux pas vous décrire sans spoiler l'intégralité du récit m'a d'ailleurs particulièrement frustré sur la fin, mais comme c'était plus un coup dans ma fierté masculine qu'un réel défaut, je pense que la plupart des gens l'accepteront.
Plus qu'un bon Pratchett, on tient là un grand Pratchett. "Le régiment monstrueux" nous emporte dans la crasse de la guerre, à travers un pays mourant d'une laideur incroyable, pris dans un engrenage de violence et de stupidité sans fin, mais au coeur de laquelle se créent les vrais héros. le genre de livre idéal à lire en écoutant "Mirdautas Vras" de Summoning, dans une obscure forêt de pins ou un centre-ville recouvert de fumée. le plaisir d'être avec les copains du front qu'il nous reste. le corrosif de la plume irascible. Et enfin, des personnages d'abord bouffons puis d'une subtilité et d'une finesse à en tomber par terre.
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