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Critique de HordeDuContrevent


Loin d'être insipide, l'incipit de ce livre de science-fiction « le monde inverti » donne le ton : « J'avais atteint l'âge de mille kilomètres ». Déjà nous devinons qu'il sera question d'une perception du temps modifiée, différente. Une question de perception d'espace-temps.
Et, en effet, dans le monde étonnant que nous présente l'anglais Christopher Priest il y a bel et bien deux façons de percevoir le temps qui passe : par rapport au système habituel de rotation de la planète autour du soleil et par rapport à l'avancée d'une cité en direction du Nord. En journée et en distance donc. Sachant qu'il faut une dizaine de jours pour faire avancer la cité de un kilomètre. Une avancée vers un optimum toujours mouvant, inatteignable, car le sol ne cesse de bouger. Or cet optimum garantit à la ville de rester dans des conditions de vie terrestres normales.

Imaginez l'expérience folle dans laquelle vous plongez à la lecture de ce livre singulier : les kilomètres parcourus, désormais au sud de la cité, appartiennent au passé. Y retourner, c'est découvrir un monde qui s'étire sur les côtés est et ouest, qui s'incurve et dans lequel vous vous sentez comme aspiré. le temps vous semble s'écouler normalement mais en réalité il est plus lent de sorte que lors de votre retour dans la cité, tout le monde a vieilli davantage que vous. Aller au nord avant que la cité ne s'y trouve c'est aller dans le futur, un monde verticale aux formes allongées, où le temps s'écoule très rapidement de sorte que c'est vous, cette fois, qui paraitrez plus vieux à votre retour. J'avais l'impression d'être dans un jeu vidéo ou dans une sorte de rêve étrange.

« Pendant leur conversation, le changement s'était aggravé. Elle ne mesurait guère à présent que trente centimètres alors que la largeur de son corps dépassait nettement le mètre. Il lui était impossible de reconnaitre en ces femmes des êtres humains ».

« Un simple rocher pouvait prendre l'apparence d'une bande gris foncé, d'un millimètre de large sur deux cent mètres de long. La crête basse couronnée de neige devant lui pouvait être une chaine de montagnes ; cette longue bande verte, un arbre ».

Cette perception est captivante, et nous comprenons, même sans être mathématicien, Christopher Priest étant un excellent conteur, que la planète a la forme d'une parabole. Souvenez-vous de vos cours de math, peut-être lointains, les fameuses paraboles, verticale à une extrémité, horizontale à l'autre extrémité, voilà à quoi ressemble cette planète…et nous comprenons la nécessité vitale de faire avancer la cité en direction de cet optimum, seul endroit où le temps est normal, où les terres ne bougent pas, car sinon elle sera condamnée à aller inexorablement dans ce passé incurvé…

Comment est la vie sur la Cité ? Les personnes y vivent une existence assez douillette. Ils ignorent ce qui se passent à l'extérieur, sauf les membres des guildes, tenus par le secret du serment, qui, seuls sont autorisés à sortir de cette cité pour mener à bien un but ultime : mettre tout en ordre afin de faire avancer la cité sur un système complexe de rails et de poulies. Guilde de la Traction, Guilde des ponts, Guilde des Futurs, Guilde des Échanges, Guilde des topographes, système organisationnel et décisionnel de la cité tourne autour de ce but, avancer inlassablement en direction de l'optimum. Cette cité s'appelle terre, en mémoire à la planète Terre dont ils sont originaires sans savoir réellement ce qui s'est passé. Nous suivons le parcours d'Helward Mann, depuis son intronisation chez les Futurs jusqu'à un âge avancé. A travers ses expériences nous voyons son évolution et celle de la ville. Nous découvrons ses problématiques, notamment celle relative à l'alimentation synthétique, ainsi que celle ayant trait à la faiblesse du taux de naissance viable et à la prédominance très nette de naissance de bébés de sexe masculin. Sachant que la seconde problématique est peut-être provoquée par la première. Les descriptions sociales et politiques de la cité sont vivantes, détaillées, riches et passionnantes.

Seule la toute fin révélera les causes d'un tel monde, fin totalement inattendue. Quelle surprise !

Je vois derrière cette histoire marquante une portée symbolique et psychologique. Nous ne cessons d'avancer, d'essayer d'atteindre notre optimum, notre équilibre, toujours mouvant au fur et à mesure de notre avancée, jamais le même, happés sans cesse par le passé qui nous restitue des souvenirs déformés, tels des rêves, nous infantilisant parfois, ou toujours à prévoir le futur sans profiter du moment présent. Et lorsque, enfermés dans nos perceptions et nos certitudes, quelqu'un nous met face à nos erreurs, il n'est pas rare de rester buttés malgré l'évidence des preuves avancées. le monde inverti est une fable sur notre moi intime, notre évolution, notre ouverture ou notre enlisement. Une portée philosophique également : qu'est-ce que la réalité, notre réalité ? Est-elle comparable à celle des autres ? Comment se forme-t-elle ? Enfin, c'est un livre qui pose de nombreuses questions également sur les méthodes éducatives. J'y ai même vu une dénonciation capitaliste de l'exploitation des ouvriers, voire celle des pays du Sud par ceux du Nord…il ouvre plein de questions, d'interrogations. Ce livre captivant est une vraie réussite !
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