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Critique de HundredDreams


« À l'ombre des jeunes filles en fleurs », deuxième volet de la célèbre oeuvre romanesque de Marcel Proust, « A la recherche du temps perdu ».

Après avoir essuyé plusieurs échecs lors de la première étape de la recherche, « du côté de chez Swann », j'avais fini par me faire accompagner par deux belles voix, celles d'André Dussollier et de Lambert Wilson. Je ne le regrette pas car cette lecture avait été un superbe moment de lecture.
Alors, pour cette deuxième étape de montagne, au risque de me perdre à nouveau, j'ai choisi de ne pas partir toute seule à l'aventure : c'est en cordée avec mes ami.es babelionautes (que je remercie) et la très belle voix de Lambert Wilson que j'ai gravi cette montagne.

Cette lecture a été longue, presque deux mois. Je suis arrivée bonne dernière, mais mon objectif est atteint : je n'ai pas flanché, j'ai bouclé cette épreuve sans rien lâcher, et surtout, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.
J'ai pris le temps de revenir sur de nombreux passages en alternant audio et livre, et cette relecture n'a pas été inutile, loin de là : cela m'a permis de mieux comprendre l'enchaînement des idées, leurs interconnexions, leurs sous-entendus.

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Dans ce roman, le narrateur, jeune homme délicat et introspectif, poursuit sa quête du temps, luttant contre l'oubli dans une course contre le temps qui s'enfuit, une course qui l'amène à saisir les pensées les plus justes dans l'instant.
De Paris au bord de mer de Balbec en Normandie, il poursuit son exploration des souvenirs, des sentiments, des émotions qui ont marqué sa jeunesse, nourris de rêveries romantiques, de fantasmes, de désillusions.

Au gré des rencontres, des conversations, des promenades, il décrit avec minutie et habileté tous les petits détails nostalgiques de ces jours lointains. Et ces petits riens prennent une place capitale et essentielle dans les souvenirs du jeune homme.
En parcourant ainsi son passé, il explore les thèmes de l'amour et de la jalousie, de la fuite du temps et de la fugacité des êtres, du bonheur et de la mémoire, de l'art et de la recherche de la beauté. C'est aussi l'occasion pour lui de réfléchir sur sa propre identité, sur sa relation avec les autres et sur la façon dont les souvenirs et le temps façonnent sa perception des autres.
A travers la transparence de ses pensées, on perçoit un jeune homme maladif, naturellement triste malgré sa quête du bonheur et de l'amour.

« Et c'est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l'existence, qu'approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu'elles sont sans mystère et sans beauté ; c'est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n'est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi – comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n'était pas grand'chose – pour nous résigner à la mort. »

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On retrouve les personnages du premier volume auxquels viennent s'enrichir de nouveaux personnages : Swann ; Berma, la célèbre actrice admirée par l'écrivain à succès Bergotte ; le baron de Charlus ; le docteur Cottard ; M. Norpois, l'ambassadeur ; Robert de Saint-Loup ; le peintre Elstir, …
Le narrateur jette un regard franc et spontané sur son entourage, et la perception qu'il en a, montre combien l'estime et la réputation fluctuent au gré des rencontres et des relations que chacun entretient. A ses observations, s'entrelacent ainsi introspections psychologiques, réflexions sociales et philosophiques.
Sous son regard perçant et pénétrant, Marcel Proust dessine des portraits savoureux et jubilatoires de ce petit monde de nantis où tout n'est qu'apparence, flatterie, vanité, hypocrisie et médisances. Il y a souvent un humour ironique et mordant qui prête à sourire.

J'ai adoré tous ces petits potins où percent la médiocrité des idées, le maniérisme excessif des gens dits bien-pensants, sûrs de leur supériorité et de leur intelligence.
J'ai aussi aimé la relation du narrateur avec sa grand-mère, sans aucun doute la plus sincère, le narrateur lui vouant une tendresse et un attachement tout particuliers.

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Le jeune homme, amoureux des femmes, à moins qu'il ne soit un grand amoureux de l'amour, est comme un papillon, attiré par une multitude de fleurs, butinant de l'une à l'autre, et ne se fixant sur aucune.

« Car il me semblait que je ne l'aurais vraiment possédée que là, quand j'aurais traversé ces lieux qui l'enveloppaient de tant de souvenirs – voile que mon désir voulait arracher et de ceux que la nature interpose entre la femme et quelques êtres (dans la même intention qui lui fait, pour tous, mettre l'acte de la reproduction entre eux et le plus vif plaisir, et pour les insectes, placer devant le nectar le pollen qu'ils doivent emporter) afin que trompés par l'illusion de la posséder ainsi plus entière ils soient forcés de s'emparer d'abord des paysages au milieu desquels elle vit et qui, plus utiles pour leur imagination que le plaisir sensuel, n'eussent pas suffi pourtant, sans lui, à les attirer. »

Chacune est une beauté en soi, mais son coeur animé par la passion et le désir cherche un point d'ancrage qu'il ne trouve pas. Alors ses yeux énamourés et gourmands cabotent de Gilberte à Odette, d'Albertine à Gisèle, de la jeune paysanne à la belle pêcheuse, … dans une étourdissante ronde florale où toutes les jeunes filles finissent pas se confondre.

« … je m'étais rendu mieux compte depuis qu'en étant amoureux d'une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme ; que par conséquent l'important n'est pas la valeur de la femme mais la profondeur de l'état ; et que les émotions qu'une jeune fille médiocre nous donne peuvent nous permettre de faire monter à notre conscience des parties plus intimes de nous-même, plus personnelles, plus lointaines, plus essentielles, que ne ferait le plaisir que nous donne la conversation d'un homme supérieur ou même la contemplation admirative de ses oeuvres. »

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Comment, en évoquant « À la recherche du temps perdu », ne pas parler de l'écriture de Marcel Proust, de son style unique, inimitable ? de cette sensation de vertige, d'étourdissement ahurissant devant ses phrases interminables ? de la profondeur, de la justesse et de la sensibilité des émotions? de la richesse de sens, de l'évolution dans la perception des personnages ?

La plume de l'auteur est délicate, poétique, illuminée d'une douce raillerie pour sonder la nature humaine et ses tourments. Il y a une recherche très certaine du mot le plus juste, de l'image la plus fidèle, de l'émotion la plus sincère, de la sensation la plus vraie. Marcel Proust a une écriture très sensorielle, il n'hésite pas à distiller des sensations olfactives, visuelles, auditives pour enrichir son propos.
Au fil de la lecture audio, j'ai également pris conscience d'une musicalité, d'un rythme, qui rend la lecture plus facile.

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Pour conclure, « À l'ombre des jeunes filles en fleurs » est une expérience de lecture mémorable, un roman impressionnant qui se lit et se relit. Il est si dense et si complexe que chaque relecture apporte une nouvelle nuance, un nouvel éclat à cette oeuvre.
Je vais maintenant me préparer, comme une athlète de haut niveau, au tome 3 de la recherche, « le Côté de Guermantes » et cette fois-ci, je partirai pour un trek solitaire, sans l'appui de l'audio.
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