Elle se met à considérer les éléments du paysage différemment, comme si c'étaient les chevaux eux-mêmes qui leur avaient donné leurs noms. Les collines et la zone de marnage sont alezanes, gris pommelé. Les troncs arrondis et nus des palmiers sont couleur bai dans la lumière du littoral, une lumière suspendue dans le ciel sans nuage au-dessus d'une mer couleur rouan, et qui passe du bai-cerise à la robe isabelle selon le temps qu'il fait.
Un sentiment poignant la saisit parfois au travail ou le matin au réveil. Un sentiment qui ressemble au bonheur, mais qui se déploie avec tant de lenteur et de gravité qu'elle pourrait aisément le confondre avec le chagrin.
Ils avaient grimpé l’échelle pour regarder dans le trou depuis le bord, à trente mètres de hauteur. Le reflet de leurs têtes dans l’eau se découpait au centre d’un cercle de lumière, et ce cercle était devenu noir comme un négatif à la surface de l’eau, bordé d’un liseré satiné. On aurait dit qu’ils se tenaient debout à l’intérieur d’une éclipse.
Le lendemain matin, Lee fit du bruit dans la cuisine avec les tasses et entreprit de réparer des choses dans la maison qu’elle ne savait pas réparer, et elle consentit finalement à l’épouser. Parce qu’elle était orpheline et seule, mais aussi à cause de Julius, qui lui avait fait pressentir que le monde était plus vaste qu’elle ne l’avait imaginé, et parce que Lee, qui aimait son frère, en était devenu à la fois plus intéressant et plus fort. Elle savait que sa mère n’aurait pas cautionné cette union, mais sa mère n’était plus dans les parages pour le lui dire.
L’amour était toujours quelque part hors de soi, il était toujours improbable. Il pouvait surprendre n’importe qui et pouvait naître mille fois, une seule fois ou jamais. Il fallait le chercher et il fallait l’autoriser, se laisser mettre à nu par la force de sa clairvoyance.