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Critique de colimasson


« Meaume, le graveur, citoyen de la ville de Rome, apprit à dessiner chez Follin. Il apprit les rudiments du métier de cartier et les ombres auprès de Rhuys le Réformé à Toulouse. Il apprit la taille-douce et la technique de l'eau-forte chez Johann Heemkers à Bruges. Il apprit à graver les paysages de la nature après son arrivée à Rome dans l'atelier de Claude Gellée. »


Le reste de Terrasse à Rome est à l'image de ce court passage. L'écriture sèche et l'énumération des évènements marquants de la vie de Meaume, graveur français du XVIIe siècle, donnent l'impression de lire une histoire de l'art. Mais parce que l'auteur du livre est Pascal Quignard, et parce que certains passages s'introduisent dans la vie privée du personnage et de ses relations au-delà de ce qu'un simple biographe pourrait rapporter, on devine que Terrasse à Rome n'est pas seulement une histoire de l'art.


Tout de même, Pascal Quignard réussit à nous faire douter. Non seulement la description des faits artistiques du personnage se fait avec une précision rigoureuse, mais une grande majorité des pages de ce court roman s'immiscent dans les oeuvres de Meaume le graveur comme si elles étaient réelles. Personnages, paysages, situations, lumières, couleurs et techniques employées subissent une analyse minutieuse qui nous ferait presque croire qu'elles existent vraiment. Mais non. On aura beau chercher, ces oeuvres existent seulement dans l'imagination de Pascal Quignard. Elles sont le moyen d'expression d'un homme touché par de multiples crises existentielles au cours de son existence. En accéléré, nous suivons donc le rapport concomitant liant l'évolution de l'artiste et de son art.


La recherche est ascétique. le regard est synthétique. Pascal Quignard élimine de la narration tout ce qui ne se rapporte ni à Meaume le graveur, ni à son art. Ce qui reste, il le rapporte froidement. Les émotions se balbutient en quelques phrases énigmatiques. Les sensations se condensent dans des atmosphères lourdes et pesantes, figées à la manière de l'expression artistique d'un siècle qui ne connaît pas encore la furie ni le déferlement d'informations des siècles qui suivront.


« le ciel pyrénéen a déjà envahi, non pas le ciel qui était toujours aussi bleu au-dessus des crêtes, mais la vallée. le hameau la route, le pont, toutes les fermes et les étables sont sur cette gravure à la manière noire presque absorbée dans la ténèbre. Car l'ombre de la montagne projette une véritable ténèbre qui paraît presque cramoisie à force d'être noire. Sauf un bout de route qui grimpe sur le flanc du pic d'en face. Un bout de route rose qui échappe à la couleur noire. »


Exceptés ces quelques beaux passages, Terrasse à Rome est un roman austère au sein duquel il est difficile de s'immiscer. Peut-être ne peut-il révéler sa saveur qu'aux lecteurs qui, semblables à Meaume, forgent l'acuité de leur regard à certaines prédispositions de leur caractère :


« Je pense que toute ma vie j'ai été jaloux. La jalousie précède l'imagination. La jalousie, c'est la vision plus forte que la vue. »


Mais si l'on manque d'imagination, et si la vision n'est pas plus forte que la vue, Terrasse à Rome ne restera qu'un objet littéraire inaccessible, que Pascal Quignard ne cherche absolument pas à rendre affable…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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