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Critique de HordeDuContrevent


Le désir maternel vu sous un angle complètement atypique, féroce et touchant.

Depuis quelques temps, je suis interpellée par les avis partagés sur ce petit livre qui nous vient de Colombie, j'ai donc eu la curiosité de m'en faire ma propre idée, d'autant plus qu'il s'agit d'un court roman à mi-chemin entre la nouvelle et le roman. Bien m'en a pris, j'ai beaucoup aimé me plonger dans cet univers très dépaysant, chaud et si humide « qu'un poisson aurait pu survivre hors de l'eau », sur la côte pacifique colombienne, entre océan déchainé et jungle menaçante, chaleur étouffante et pluie diluvienne. J'ai trouvé que Pilar Quintana a réussi à traiter le thème classique du désir maternel de façon à la fois originale, crue, violente et bouleversante.

Damaris et son mari pêcheur vivent dans un cabanon de fortune à la lisière de la jungle. La femme n'a jamais réussi à tomber enceinte malgré de multiples remèdes, décoctions d'herbes médicinales ou même recours à un chamane qui leur soutire les économies de toute une année. En vain. Cela est source d'une grande souffrance, d'une certaine mélancolie et d'une distance au sein du couple. A présent, Damaris a quarante ans, « l'âge auquel les femmes se dessèchent », selon les paroles ô combien pleines de sagesse de son oncle.

Lorsqu'elle décide, sur un coup de tête, d'adopter un chiot, l'animal devient une source exclusive d'amour. Elle va le choyer sans relâche, ne cessant de le caresser, de lui parler, de bien le nourrir, de veiller sur lui. Malgré toutes ces attentions, un jour la petite chienne disparait plongeant la femme dans un grand désarroi. Quelques semaines plus tard, le retour inattendu de l'animal qui ne cesse désormais de vouloir prendre son indépendance malgré les tentatives de sa maitresse de lui apprendre à ne pas s'enfuir ainsi va transformer le comportement de la femme, jusqu'au tragique.

C'est tout d'abord le dépaysement que m'a procuré ce livre qui m'a enchantée. La forêt qui entoure le cabanon est luxuriante, foisonnante et dangereuse, l'océan en contrebas cerné de rochers glissants de mousse et de vagues écumeuses menaçantes. le tout immergé dans un climat tropical étouffant. Cette nature, enveloppante, et est un peu à l'image de l'amour déployé par Damaris, à savoir âpre, étouffant, mystérieux, changeant.

« Elle ne voyait rien, juste ce qu'elle parvenait à éclairer plus ou moins avec la lanterne, des fragments, la pointe d'une immense feuille, la tige d'un arbre tapissé de mousse, le bout d'un énorme papillon qui avait des ailes comme remplies de mille yeux, et qui, surpris par la lumière, s'envola et s'agita, effrayé, autour de sa tête. Ses bottes s'accrochaient aux racines, elle s'enfonçait dans la boue, trébuchait, glissait, et pour se tenir debout, elle s'appuyait sur des surfaces dures, mouillées ou fibreuses. Elle était frôlée par des choses rugueuses, poilues ou épineuses et elle sursautait en pensant que c'était une araignée, l'un de ces serpents qui vivaient dans les arbres ou une chauve-souris suceuse de sang, mais rien de la mordit, il n'y avait que les moustiques qui la piquaient, elle s'en moquait… ».

Par ailleurs, le désir maternel est traité de façon singulière, à travers cet attachement à ce chiot, amour qui va connaitre un revirement soudain. Par ailleurs, sa jalousie de femelle vis-à-vis du chiot devenu chienne, va révéler ses failles intimes ; son manque de patience, de stabilité, va la ramener au drame vécu alors qu'elle était enfant. Sans doute, ce traumatisme passé explique sa stérilité et son incapacité à avoir un enfant.

Reporter son désir d'enfant sur la chienne, ne fait que révéler avec plus d'acuité la racine du mal qui ronge cette femme et ne comble pas le manque, incurable. Réussir à se mettre dans la peau d'une mère c'est juste souligner avec plus d'acuité son impossibilité et sa culpabilité liée au traumatisme passé.

« La pluie était toujours si fraîche et propre qu'elle semblait purifier le monde, mais en réalité, c'était à cause d'elle que tout était recouvert d'une couche de moisissure : les branches des arbres, les colonnes de béton du quai, les lampadaires, les mieux des maisons en bois, les murs en planches et les toits de zinc et d'amiante… ».

Un petit livre certes, mais un grand voyage, dépaysant et touchant, une analyse plus subtile qu'il ne parait de prime abord, une belle écriture simple mais travaillée, j'ai passé un excellent moment de lecture !

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