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Critique de Henri-l-oiseleur


On lit peu Rabelais, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Une des mauvaises, c'est la désaffection dans laquelle est tombée la littérature française, suite au désastre scolaire et aux entourloupes contemporaines autour de la culture (devenue "patrimoine" en certains cas, autrement dit mort et poussière, et en d'autres cas, rap et post-littérature). Une bonne raison de ne pas lire Rabelais, c'est l'état dans lequel la défunte école française l'avait réduit, en tranchant dans le texte pour n'en laisser surnager que la noble prose humaniste et quelques récits "populaires". Une autre bonne raison de ne pas lire cet auteur, c'est sa langue magnifique, mais d'un abord difficile et même pénible quand on n'a pour soi que Virginie Despentes ou Edouard Louis. Le lecteur de Rabelais plonge dans une langue française variée, multiple, "verte", allant du registre le plus bas, le plus grossièrement physique, au pastiche de la rhétorique latine, et inversement, des utopies les plus innovantes aux aventures et voyages de romans de grande consommation. Le tout parodié, retravaillé et fondu dans un ensemble incompréhensible où la règle d'unité de ton est systématiquement transgressée. Aristote surgit en pleine histoire de moutons, les rêves autoritaires, totalitaires, égalitaires de Thomas More s'incarnent en une abbaye aux proportions soigneusement cabalistiques, réservée à une élite qui fera ce qu'elle veut. Le roi, censé être le héros, laisse la place à un Panurge qui parcourt le monde non pour y amasser trésors et connaissance, comme un vulgaire Ulysse ou un conquistador courant, mais pour savoir s'il sera cocu s'il se marie. Tout ceci dépasse largement le lecteur moderne, mais comme une randonnée en montagne, lui accorde les plus grandes joies. Nous aimons que les livres "culturels" reflètent nos préjugés, notre langue informe, notre triste passion du lynchage et de la "dénonciation" : le culturel est fait pour ça, sermonner le lecteur en le flattant comme un miroir magique. Rien de plus familier et normal que la prose de Virginie Despentes ou d'Edouard Louis : ils sont nous-mêmes en pire, ils écrivent et pensent comme nous. Rabelais n'est pas difficile parce qu'il est en français de la Renaissance, il est difficile parce que nous ne sommes pas prêts à l'écouter nous surprendre.
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