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Critique de Lucilou


Dans mon panthéon racinien, il me manquait Iphigénie, classique entre les classiques pourtant.
Je n'avais eu, avant aujourd'hui, ni l'occasion, ni l'envie surtout de la lire (si on m'avait proposé de la voir, ça aurait été toute autre chose!). Il faut dire que j'ai longtemps renâclé face aux tragédies classiques et qu'il m'a fallu du temps pour apprendre à les aimer.
Cette image rendue un peu pieuse par le temps et l'histoire littéraire d'une jeune Iphigénie prête au sacrifice par amour pour son père, à la mode d'Abraham... Bof.
Et puis, je n'aime guère les Atrides, moi. J'exècre Agamemnon et ma mauvaise foi de troyenne défaite et moi-même n'avions absolument aucune envie d'éprouver ne serait-ce qu'une once de compassion (à la Racine donc!) pour ce détestable personnage.

Finalement pourtant, j'ai lu "Iphigénie" (versatile âme humaine!).
J'ai aimé "Iphigénie" qui précède la grande "Phèdre" de trois ans et dans laquelle Racine, alors à l'apogée de sa gloire et de son talent, renoue avec un sujet tiré de la mythologie et tente l'impossible réconciliation du coeur (du désir même) et de la raison. On sait bien, pourtant, que ça ne marche presque jamais.
Les turpitudes entraînées par le dilemme d'Agamemnon (Sacrifier ou ne pas sacrifier? Telle est la question…) véritable noeud de l'intrigue, sont toutes entières pétries de l'amour -filial, charnel, etc- mais l'affaire étant éminemment politique (du sacrifice dépend le destin des grecs et de ma belle Troie, Diantre!), à quoi bon laisser au coeur le droit de s'exprimer? C'est presque absurde. C'est presque de la vanité.

La pièce s'ouvre donc quelques dix ans avant la chute d'Illion. Les achéens sont coincés au port par des vents capricieux et perdent patience. Les dieux pourtant finissent pas s'exprimer à travers leur oracle: les vents se lèveront à condition qu'on leur sacrifie la douce Iphigénie, fille du chef. Agamemnon, dans un premier temps et conseillé par Ulysse (j'ai toujours pensé qu'il était perfide celui-là) accepte de verser le sang de sa fille et fait donc venir cette dernière, ainsi que sa mère Clytemnestre, sous un prétexte fallacieux. Il prétend vouloir la donner en mariage plus promptement que prévu au noble Achille (si tant est que puisse être noble l'Hectoricide, entendons-nous bien!) qui -ça tombe bien- est véritablement amoureux de la douce Iphigénie. L'Atride est pourtant pris de remords à l'idée de sacrifier le fruit de ses entrailles sur l'autel de sa victoire et envoie un autre messager auprès de son épouse et de la princesse pour différer leur venue: Achille, finalement, ne voudrait plus de sa promise et jetterait ainsi l'opprobre sur elle.
Oui, mais c'est trop tard: Clytemnestre et Iphigénie sont en route et la souveraine va exiger des explications.
Oui, mais Achille est ici, fou d'amour et prêt à se battre.
Oui, mais Eriphile est là aussi et brûle pour Achille, et brûle de haine aussi.
Oui, mais les grecs et la gloire attendent: les dieux ont soif et les vents ne se lèvent pas.
La tragédie peut s'ouvrir et elle sera grandiose.

Naturellement, on ne peut pas parler d'un texte de Racine sans évoquer la pureté et la beauté de sa langue qui tutoie le sublime et les étoiles, même si elle manque quand même parfois un peu de tempête et de tourments alors que -paradoxalement- c'est ce qu'elle raconte si bien.
C'est harmonieux, fluide comme le chant d'une rivière. Parfois, c'est ironique et cassant mais toujours avec élégance, panache.

Au delà de la langue et ses hauteurs sublimes, pour moi le point fort de la pièce, ce sont ses personnages: d'un côté les "adultes" Agamemnon, Clytemnestre et Ulysse et de l'autre les "jeunes": Iphigénie, Achille, Eriphile. Rien qu'à partir de là, il y aurait des choses à dire.
Ainsi, j'ai trouvé les premiers (à l'exception d'Ulysse) bien versatiles, bien faibles malgré leurs éclats. Ils tentent de s'arranger, ils changent d'avis, en un mot ils font des compromis, là où celui et celles qui ont l'âge d'être leurs enfants ne sont qu'absolus, sans concessions. Si cela ne confère pas à Achille beaucoup de complexité -c'est un héros qui agit plus qu'il ne médite-, cela approfondit sensiblement Iphigénie et Eriphile. Je dois avouer cependant que la première m'a agacée: trop de docilité, trop de douceur, trop de résolution, de raison même dans ce qui la brûle et j'aurai voulu que Racine ne la sauve pas (mais pouvait-il faire autrement? La bienséance, tout ça). En revanche, j'ai adoré Eriphile, considéré à tort comme un second rôle: elle apparait peu sympathique malgré son statut de victime, son amour pour Achille est franchement malsain (coucou, syndrome de Stockolm!) mais quelle intelligence, quelle lucidité -elle est un peu un double d'Ulysse à cet égard, elle comprend comme lui l'insupportable nécessité du sacrifice - quelle volonté d'apprendre ce qu'on lui cache et de se battre. Quelle amour aussi et malgré tout!
Peut-être bien qu'au départ, cette mystérieuse captive n'était que le moyen de sauver la belle Iphigénie, peut-être que Racine n'avait pas conscience de la force de ce personnage mais quelle création! Elle annonce presque Phèdre... et je me dis que même en 1674, elle devait avoir son importance -même un peu ténébreuse- sinon pourquoi est-elle celle qui apparait la première des deux jeunes filles?
Tout comme je m'interroge encore sur la révélation d'Arcas: trahison ou fidélité?
Elle soulève beaucoup de questions cette tragédie et pas des moindres...
Et dire qu'elle m'aura aussi fait apprécier Agamemnon: le personnage est-il un double du poète qui aurait perdu sa fille peu avant d'écrire la pièce ou d'un roi soleil en perte de vitesse et de lumière comme l'ont écrit les exégètes?
On ne le saura sans doute jamais vraiment, mais le roi de Mycènes a enfin figure humaine et ça, c'est virtuose.

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